Le violon de cristal: les partitions perdues

Chapitre 8 : Le Hall des musiciens

— Bon, hé bien je crois que le reste se fera en tête à tête, sourit Telak.

Tête à tête. Quelle belle expression savamment utilisée pour ne pas lui donner envie de continuer son apprentissage à ses côtés. Son sourire s'effaça cependant lorsqu'il croisa le regard noir de la jeune femme. Gêné, il détourna les yeux et se racla la gorge. Cette réaction la conforta dans une des idées qu'elle se faisait de lui : il ressemblait à un enfant.

— Donc ? Qui a-t-il de prévu maintenant ? demanda-t-elle afin de lui montrer qu'elle ne lui en tenait pas rigueur.

— Je pensais à une visite guidée de la ville qui se finirai par la découverte de ton appartement.

— Mon appartement ? répéta Syara, incrédule.

— Tu ne croyais tout de même pas qu'ils allaient t'envoyer à l'autre bout du monde, sans te fournir un toit et sans te rendre tes affaires ?

— Mes affaires ? répéta la beast.

— Bien sûr ! Ils vont être envoyés à ton nouveau chez-toi dans l'après-midi.

Avec ces explications, Syara eut un léger aperçu de l'ampleur de l'organisation que requérait la cérémonie. Il fallait, en un temps record, accorder un logement à quiconque passait une porte et faire attention que les affaires atterrissent au bon endroit. À bien y réfléchir, il n'y avait pas que ça. Le passage qu'elle avait emprunté était incroyablement stable, aux vu de la distance parcourue, pour un portail éphémère. Sans stabilisateurs, en créer un de la sorte devait demander un haut niveau de maîtrise. Sans parler des sorts d'oublis et autres mis en place sans que personne ne s'en rende compte. Et tout ça, elle en était sûre, n'était que la partie immergée de l'iceberg.

— On y va ? Proposa le démon, une main sur la poignée d'une porte qu'elle n'avait pas remarqué jusque-là.

— Et le buffet ? demanda-t-elle, ses yeux rivés sur la montagne de victuaille.

— Tu as faim ?

— Pas vraiment, admit la jeune femme.

— Ne t'en fais pas., les autres se chargerons de le finir. Donc ? Prête ? répéta Telak.

— Oui !

— Dans ce cas, bienvenu à Léfarène ! annonça-t-il, un large sourire aux lèvres alors qu'il poussait la porte.

Bien qu'un globe lumineux éclairait la salle, ce qui se trouvait au-delà de la porte l'éblouit. Petit à petit, à mesure que ses yeux s'accommodèrent, les contours de quelque chose se dessinèrent dans la lumière. Quelque chose de gros... Très gros. Elle se trouvait à présent dans une salle gigantesque, aussi grande que l'amphithéâtre, si ce n'est plus. En son centre, frôlant le plafond, une statue colossale d'une dizaine de mètres de haut représentait diverses personnes, instruments à la main, qui arboraient une posture héroïque et triomphante. Elle avait beau chercher dans sa mémoire, la jeune femme ne reconnaissait aucun de leurs visages. Aux pieds de la sculpture, plusieurs centaines, voir un millier de personnes allaient et venaient, discutaient, scrutaient d'étranges feuilles accrochées aux murs. Tout ça dans une cacophonie assourdissante.

Telak approcha son visage de l'épaule de Syara et se mit à lui chuchoter quelque chose. Encore un qui ne se rendait pas compte de l'absurdité de son geste. Mais ça n'avait pas vraiment d'importance, son ouïe lui permit tout de même de l'entendre. Il lui conseillait de ranger son violon.

— Il est assez mal vu de sortir son instrument si on ne compte pas l'utiliser. En plus, le tien ne passe pas vraiment inaperçu, expliqua le démon en voyant la mine perplexe de la beast.

— Je veux bien, mais le coffre de cristal était trop occupé à m'arracher le bras pour me donner l'étui qui allait avec le violon, rétorqua-t-elle, sarcastique.

— As-tu déjà entendu parler d'un mage se faisant voler son instrument lié ?

— Il y a quelques minutes, je ne savais même pas que les pays avaient leur propre style de musique alors bon... dit-elle avec un haussement d'épaule.

Amusé par cette remarque, Telak esquissa un sourire puis se tapota la tempe avec son index.

— Ton étui se trouve là. Visualise ton violon dans un étui et ferme-le. Il devrait disparaître rapidement. Voilà pourquoi personne ne pourra jamais te le voler.

— Et si je veux l'utiliser, je visualise un étui qui s'ouvre ? souffla-t-elle.

— Tu apprends vite !

Ce Telak était-il donc incapable de relever un sarcasme quand il en entendait un où le faisait-il exprès ? Après le coup que lui avait fait monsieur Vedo, elle se méfiait de ce genre de personnes. Lui cependant, contrairement au professeur schizophrène, ne semblait ni lui en vouloir pour rien, ni s'acharner sur elle. Il était peut-être réellement comme ça dans la vie de tous les jours après tout.

Syara accepta donc de se prêter à ce petit exercice mental. Elle visualisa tout d'abord son instrument, puis l'étui qu'elle avait chez elle. Délicatement, elle le plaça à l'intérieur et referma la housse rigide et capitonnée. Lorsqu'elle ouvrit les yeux, elle sentit que l'instrument qu'elle tenait dans ses mains était beaucoup plus léger et transparent. En à peine quelques secondes, le violon de cristal avait totalement disparu.

— Pratique, admit-elle.

— Bien. La visite peut donc commencer. Nous nous trouvons actuellement dans le Hall des musiciens. Cet endroit est le point de chute pour tous les mages du pays. C'est ici que tu pourras recevoir les missions et requêtes officielles, mais je reviendrai sur cet aspect plus tard. Le Hall des musiciens contient aussi plusieurs salles d'entraînements pour tester tes pouvoirs en toute sécurité...

— Si je comprends bien, coupa Syara, c'est un peu le camp de base des mages.

— C'est ça. C'est le meilleur endroit pour trouver des partenaires ou des personnes susceptibles de répondre à tes questions. Mais nous aurons tout le temps de revenir ici plus tard. Suis-moi, je vais te montrer les merveilles que renferme cette ville !

Pourquoi pas. Elle n'avait aucune envie d'être noyé sous les informations concernant sa nouvelle vocation pour le moment. Une visite de la ville lui permettrait donc de s'aérer et de se changer les idées. Syara, guidée par Telak, contourna l'immense statue et sortit par une porte tout aussi grande que la sculpture. Là, depuis le parvis du Hall des musiciens, Léfarène s'étendait devant ses yeux ébahis.