Le violon de cristal: les partitions perdues

Chapitre 175 : Scinder le cristal

 Si le dragon et le mage étaient d'habitude du genre à tout prendre à la légère, ici, devant l'imposant cristal qui regorgeait d'énergie, tout était différent. Dès que Fos avait invoqué son instrument, la tension, au même titre que leur sérieux, avait atteint son paroxysme. S'ils échouaient, dans le meilleur des cas, le cristal serait réduit en une multitude de petits éclats inutilisables pour e qu'ils comptaient en faire. Dans le pire des cas, ils y passaient tous les deux et condamnaient ainsi tout un peuple à la mort.

Ça, la reine n'y avait pas pensé en faisant son pacte. Si Shay faisait aussi partie des victimes de l'opération et que le cristal était détruit, il n'y aurait personne pour les emmener autre part pour qu'ils puissent survivre. Mais le dragon ne comptait pas se laisser emporter aussi facilement. Sans rien dire, il hocha juste la tête en direction de son ami qui lui jetait un regard furtif et leva les bras au ciel.

En un instant, comme cela s'était produit devant la démonstration devant les conseillers de la reine, une barrière entoura et isola totalement le cristal et Fos du reste de la forêt. Ses consignes avaient été claires. Il devait y insuffler toute sa puissance pour contenir tout risque d'explosion. Si un autre aurait eu des états d'âme à laisser son acolyte seul aussi près du danger, Shay, lui, avait une confiance aveugle vis-à-vis de ce mage humain. Ses pouvoirs dépassaient l'entendement et, il avait du mal à l'admettre, dépassait les siens depuis bien longtemps. Il n'allait certainement pas se laisser tuer par une explosion, aussi grosse et puissante soit elle.

Tandis que sa barrière lumineuse émettait un léger vrombissement, le son d'un violon se fit entendre. Fos avait commencé à jouer. La mélodie était étrange et presque indescriptible pour le dragon. Cependant, cela ne l'empêchait pas d'avoir des images de ce qu'elle lui inspirait qui apparaissait dans son esprit. S'il avait dû décrire ce que cette musique lui inspirait, Shay aurait répondu une fin du monde mesurée.

Il s'imaginait une planète entière vivant ses derniers instants, mais il ne se représentait pas la scène depuis le sol, mais plutôt en tant que spectateur extérieur. Il ne vivait pas cette destruction, il ne faisait qu'y assister. Dans un silence total, il ne voyait pas la planète se déchirer, puis se noircir et se zébrer du rouge du magma qui s'échappait de ses entrailles pour recouvrir sa surface.

Non, là, il avait l'impression que la disparition de ce monde avait été planifiée par un être surpuissant qui avait décidé de faire cela proprement. Il vit ainsi une ligne se former au pôle et s'agrandir petit à petit jusqu'à atteindre l'équateur et continuer sa route pour former un cercle parfait sur ce monde.

Les deux parties de la planète se séparèrent alors, doucement, toujours sans un bruit. La coupure était si nette qu'aucun morceau de roche ne s'était détaché de chacune des parties. Ce monde que la mélodie lui faisait voir avait été sectionné tel un fruit que l'on couperait en deux avec un couteau.

Sur chaque demi-sphère, rien n'avait bougé. Aucune craquelure, aucun tremblement de terre, rien. Si une civilisation y vivait, le dragon n'était même pas certain qu'elle se serait rendu compte de ce qui venait de se passer. Il n'y avait qu'à proximité de la coupure ou depuis sa place d'observateur que l'on pouvait s'apercevoir de la fin de ce monde.

Dans le silence de l'espace, les deux parties de ce monde se mirent à s'écarter de plus en plus l'une de l'autre. Soudain, le sol se mit à trembler sous Shay. Le dragon sortit de cette rêverie que lui inspirait la mélodie que jouait Fos et remarqua que le cristal brillait d'une lumière presque aveuglante.

En tant que créature extrêmement sensible à la magie, il ressentit alors une grande puissance émaner du cristal. Celle-ci ne s'échappait pas de manière uniforme, mais suivait un tracé horizontal au milieu du monolithe. Il n'y avait d'ailleurs pas vraiment besoin d'être sensible à ces énergies pour le voir. L'entaille que Fos avait faite dans le cristal brillait bien plus intensément et formait une ligne de lumière sur l'amas de magie concentré déjà très lumineux.

Derrière la barrière qu'il avait élevée, le dragon sentait la chaleur qui se dégageait du cristal. Pourtant, il n'aurait pas dû ressentir cela. Même ses propres flammes, celles d'un dragon, n'arriveraient pas à transmettre leur chaleur au travers de sa protection. S'il arrivait tout de même à percevoir ce changement, Shay ne pouvait même pas imaginer quelle température il faisait à l'intérieur. Malgré tout, Fos, avec sa simple constitution d'humain, tenait toujours debout. Tout ce qui se trouvait autour de lui avait été carbonisé, mais lui ne semblait pas affecté et continuait à jouer pour achever sa mission.

Comment pouvait-il jouer pour se protéger tout en effectuant un tel sort à la précision chirurgicale ? s'étonna le dragon. Le tremblement de terre se mit soudain à redoubler d'intensité et fut accompagné par un grondement sourd qui ne présageait rien de bon. La Lumière de la cassure sur le cristal s'intensifia et Shay dû détourner les yeux pour ne pas risquer de perdre la vue.

Il sentit alors son pouvoir vaciller et insuffla encore plus d'énergie dans sa barrière, quitte à repousser ses limites. Cela ne suffit cependant pas et, après un choc qu'il n'aurait jamais pensé avoir eu à encaisser de toute sa vie, sa protection se brisa et un puissant souffle ardent le projeta contre le tronc d'un arbre.

Lorsqu'il ouvrit les yeux, la première chose qu'il sentit fut une douleur vive à l'arrière de son crâne. Il était assis, adossé à un arbre, mais pas celui qu'il avait percuté. En relevant la tête, il s'aperçut que celui qu'il s'était pris à cause du souffle était couché, comme celui qui se trouvait derrière. Il avait donc fallu trois troncs pour l'arrêter.

Malgré tout, cela n'était rien comparé à ce qui se trouvait devant lui. À la place du cristal, un chêne gigantesque avait poussé et dépassait en taille les autres arbres. Sa largeur était tout aussi anormale et recouvrait entièrement la ville des fées, si ce n'est plus.

Comme si cela ne suffisait pas à l'étonner, le dragon fut aussi témoin de la renaissance de la forêt. Tout autour de lui, les arbres retrouvaient un épais feuillage, les buissons verdissaient, la terre se recouvrait d'un épais manteau d'herbes et de plantes en tout genre. Cet endroit était passé en un instant de lugubre à luxuriant. Fos avait réussi !

Soudain, un doute s'immisça dans son esprit. Après avoir réussi un tel exploit, il se serait attendu à l'entendre fanfaronner et pourtant, seuls les bruits d'une nature sans faune parvenait à ses oreilles. Était-il... ?

Malgré les nombreuses douleurs qu'il ressentait dans tout son corps, Shay se releva et se précipita au pied du chêne gigantesque. Entre deux racines, une lueur bleutée attira son attention. Le violon de cristal. Les cas où l'instrument lié reste malgré la mort de son porteur était rarissime. Il devait être vivant !

Après avoir fait le tour de l'arbre plusieurs fois et inspecté tous les endroits où son ami aurait pu être projeté, le dragon commença à s'inquiéter. La puissance du cristal avait-il rompu le lien que Fos avait avec son instrument, Était-ce pour cela qu'il était resté alors qu'il n'y avait plus aucune trace du mage ?

Tandis qu'il réfléchissait à cela en trouvant cette hypothèse de plus en plus plausible, quelque chose le heurta à la tête. Intrigué, le dragon se pencha et observa ce qui l'avait touché. Un gland ? Pourtant, il ne se trouvait pas directement sous le chêne...

Levant les yeux vers l'arbre, Shay aperçut enfin son ami, avachi sur une branche. Ce dernier lui offrit un large sourire, puis tendit sa main vers lui, le pouce levé en l'air, avant de baisser le bras et de s'évanouir.