Chapitre 14 : Le départ

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Un vieil adage humain disait jamais deux sans trois. En cette matinée, Syara se réjouissait que ce dicton ne soit pas une généralité. Deux fois de suite, elle n'avait pas réussi à se réveiller, mais là, elle se trouvait bel et bien au lieu de rendez-vous et, qui plus est, à la bonne heure. Seul problème, Telak ne se trouvait nulle part. Huit heures, huit heures dix... Huit heures vingt ! Personnes...

La beast commençait à douter. Lui avait-il vraiment donné rendez-vous à cette heure-ci ? Ses craintes se dissipèrent cependant lorsque le démon apparut au coin d'une ruelle adjacente à la place. D'un air décontracté, le démon marcha sans se presser jusqu'à arriver à sa hauteur.

— Bonjour ! salua-t-il joyeusement.

— Tu arrives en retard pour te venger d'hier c'est ça ?

— Mais pas du tout, se défendit-il, c'est juste que la préparation pour le voyage a pris un peu plus de temps que prévu. On pourrait croire que Sendra est proche de Léfarène, mais à pied, ça n'est pas la porte à côté. Nous en avons pour au moins cinq jours de marche.

Syara examina le démon de la tête au pied. Certes, ses ailes l'empêchaient d'avoir un sac à dos, mais à part quelques sacoches accrochées à sa ceinture, il ne semblait absolument pas prêt pour un voyage aussi long.

— Tu parles de préparation et pourtant tu n'as rien amené de plus que ce que tu avais hier, commenta-t-elle.

— Ne te fies pas aux apparences, j'ai bien plus de place dans une seule de ses bourses que toi dans ton gros sac. C'est bien plus léger et confortable.

— Où les as-tu eu ?

— T'as pas les moyens, se contenta-t-il de répondre.

— Aller, dis-moi s'il te plaît.

— Je viens de te dire qu'elles étaient trop cher pour toi. Je te montrerai où en acheter lorsque tu auras gagné un peu d'argent. Pour l'instant, mettons-nous en route pour rattraper le temps perdu.

Il ne voulait pas cracher le morceau ? Tant pis, elle finirait par apprendre où en avoir tôt ou tard. La beast accepta donc la proposition de son mentor et le suivit à travers les rues sinueuses de la ville.

Plus ils approchaient de la porte nord, plus les allées étaient encombrées de chariots remplies à raz-bord de meubles et de biens en tout genre. Des visages fermés, des pleurs, des regards fatigués, tout dans ce quartier n'exhalait que tristesse et souffrance. De chaque côté des portes du mur d'enceinte de la ville, des gardes tentaient, tant bien que mal, de gérer et d'orienter le flux de réfugier qui s'y présentait.

À l'extérieur de la cité, Syara eut un léger aperçu de l'ampleur de l'exode. Si personne n'allait en direction de Sendra, des caravanes entières se rendaient à Léfarène dans l'espoir d'y trouver un refuge.

Voir toutes ses personnes dévastées provoquait chez la jeune femme un profond sentiment de tristesse. Elle qui arrivait d'habitude à se créer une carapace et à ne rien laisser transparaître, ne pouvait étonnement pas s'empêcher de baisser les yeux pour éviter de croiser leurs regards.

Le flux de réfugier diminua cependant aux alentour de midi. Les deux mages n'avaient pratiquement pas lâché un mot depuis leur départ et s'arrêtèrent, toujours dans ce silence pesant, pour manger un peu.

Alors qu'elle détaillait les environs en mordant dans son bout de pain, Syara vit un oiseau, perché sur un arbre solitaire, s'envoler et disparaître au loin en à peine quelques secondes. De cette vision anodine germa une idée qu'elle ne put garder pour elle bien longtemps.

— Et si nous y allions en volant ? lança-t-elle. Ça irait plus vite.

Telak, assit sur une pierre en face d'elle, leva les yeux de son morceau de viande séché et la regarda d'un air étonné.

— Il n'est pas question que je te porte, répondit-il après quelques secondes de silence.

— Pas besoin ! Toi, tu utiliseras tes ailes et moi, j'utiliserai la magie du vent pour te suivre.

Son plan était tout simplement parfait. S'ils faisaient ainsi, ils diviseraient le temps de trajet par deux, voir plus ! Après tout, si les autres mages arrivaient à maîtriser leurs pouvoirs, ça ne devait pas être ci compliqué que ça. Le démon, face à la mine triomphante de la beast, arqua d'abord un sourcil puis, partit dans un fou rire incontrôlable.

- Quoi ? Je ne vois pas ce qu'il y a de drôle ! s'énerva la jeune femme.

Telak se calma quelque peu et sécha ses larmes. Il inspira longuement et releva la tête une nouvelle fois... Pour repartir de plus bel au moment de croiser le regard courroucé de sa nouvelle acolyte.

— Si tu ne me dis pas tout de suite ce que tu trouves si amusant, je repars à Léfarène ! prévint-elle.

— Désolé, s'excusa-t-il en reprenant contenance, je t'imaginais juste en train d'essayer de voler sans connaître la vrai portée de tes pouvoirs.

— Et ? pressa la beast.

— Et je pense que tu finiras en femme tronc avant de pouvoir léviter péniblement à trente centimètres du sol.

— C'est de m'imaginer démembrée qui t'as fait éclater de rire ?

— Excuses-moi, mais les images qui me sont venues à l'esprit étaient en effet très amusantes.

Il se foutait d'elle ! Et il l'avouait en plus ! À cet instant, elle avait juste envie de lui faire subir le même sort que son imagination tordue lui avait fait endurer. Elle ne lui laisserait que ses ailes et rien de plus. Après tout, elle n'était pas un monstre. Une chose retint cependant son geste. Elle ne savait pas encore de quoi il était capable. Pour être assigné en tant que tuteur des nouvelles recrues, il devait tout de même avoir un bon niveau en magie. D'ailleurs, que savait-il faire réellement avec sa basse ?

— Dis-moi, dit-elle d'un ton posé en essayant de se contenir le plus possible, tu ne m'as pas dit quels étaient tes pouvoirs.

— C'est vrai, mais pourquoi cela t'intéresse si soudainement ?

Pour l'étriper s'il se révélait être faible !

— Pour savoir, c'est tout, se contenta-t-elle de répondre.

— Contrairement à toi, je n'en possède que deux : celui de la pierre et de la terre.

À son tour, l'imagination de Syara la fit éclater de rire.

— Je ne vois pas ce qu'il y a de drôle, commenta le bassiste en arquant de nouveau un sourcil.

— En fait, tu blesses tes adversaires en leur jetant des cailloux et du sable dans les yeux ? C'est nul !

Piqué au vif, Telak invoqua son instrument et joua cinq notes rapides. Sortit de nulle part, un immense rocher s'écrasa, dans un gigantesque fracas, à quelques centimètres à peine derrière la jeune femme, qui bondit de surprise. Un peu plus et sa queue y passait. La pierre, tombée du ciel, faisait environ la taille de la beast et devait être une centaine de fois plus lourd qu'elle.

— D'a... D'accord, balbutia-t-elle les yeux écarquillés. À l'avenir, rappelles-moi de ne pas t'énerver.

— C'est noté ! sourit le mentor. Aller, il nous reste encore du chemin, nous devrions nous remettre en route.

Fier de sa petite prestation, Telak se leva et prit les devants, suivit, quelques pas derrière, par une Syara à la fois admirative et perplexe quant à cet étrange personnage.  

Le violon de cristal: les partitions perduesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant