Chapitre 29 : Liens de tristesse

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Bousculée, emportée, désorientée. Syara avait l'impression de se trouver dans un typhon. Les fonds de l'océan étaient tout aussi déchaînés qu'à sa surface, voir bien plus encore. Des courants surpuissants se croisaient et recroisaient et baladaient la pauvre beast sans qu'elle ne puisse rien faire. Qu'est-ce qui lui avait pris de sauter dans cet enfer d'eau ? À peine quelques minutes avant, tout ça semblait être une bonne idée, surtout que la présence à ses côtés approuvait ce choix. Mais à présent, la jeune femme se demandait juste comment elle allait faire pour se sortir de cette situation.

À cela, s'ajoutaient les sentiments de la présence agressive. Si elles n'étaient qu'un ressenti sur le mur, Syara les vivaient à présent comme une réelle attaque mentale. Toute cette colère et cette tristesse l'empêchaient de réfléchir à comment s'en sortir. Elle avait l'impression de perdre la raison à cause de sentiments qui n'étaient même pas les siens.

— Ressaie de jouer pour lui, entendit-elle. Ne le fais pas pour le calmer, mais pour lui indiquer que tu veux le rencontrer.

Jouer sous l'eau ? Comme si elle pouvait faire quoi que ce soit avec ses courants. De plus, elle arrivait facilement à faire passer des émotions, mais le faire avec quelque chose d'aussi précis que de demander à lui parler, elle n'était même pas sûre d'arriver à lui envoyer clairement ce message.

— Les émotions sont bien plus parlante que ce que tu crois. Tu as essayé de le raisonner et ça n'a pas marché. À présent, essai de le comprendre.

Malgré tout ce qui se passait autour d'elle et dans sa tête, la beast se concentra sur ses paroles. Quel était ce sentiment qui permettrait de faire passer le bon message ? Sans doute l'une de celle qui habitait le cœur de la chose. La colère et la rage seraient vécues comme une autre agression alors que la détermination et le désespoir pouvaient être mal interprété. Il ne restait plus que la tristesse. Oui, la tristesse ! Il n'y avait aucune raison apparente à lui faire ressentir de la tristesse si ce n'est pour qu'elle entre en résonance avec la sienne.

La violoniste attendit patiemment que les courants se calment et invoqua son instrument. Dès qu'elle s'en saisit, une intense lumière s'y dégagea et lui permit d'enfin voir dans ses eaux déchaînées.

Elle n'était même pas sûre de pouvoir jouer convenablement sous l'eau. Elle ne savait même pas si le moindre son allait sortir de son violon. Qu'importe, elle devait tenter le coup. Sa vie et sans doute la ville entière dépendaient de ça.

Alors qu'elle approchait l'archet de son instrument, un courant violent lui arracha la baguette des mains et l'emporta au loin. Elle allait pour révoquer le violon et l'invoquer de nouveau pour récupérer la partie qu'elle avait perdue, mais se ravisa. Jouer avec un archet dans ses conditions était tout bonnement impossible.

De la main droite, elle commença donc à pincer les cordes qui, à sa grande surprise, raisonnèrent parfaitement dans cet environnement inadéquat. Il ne lui restait plus qu'à inventer une mélodie qui évoquait la tristesse.

Un souvenir lui revint immédiatement en tête. Elle voyait Kuta, son plus vieil ami, échouer au test du coffre de cristal. Elle se remémorait son visage tourné vers elle juste avant de quitter la salle. Elle ressentait ce poids dans son cœur, celui de la séparation. Chaque détail lui revenait en tête. Son air digne malgré la larme qui descendait sur sa joue, sa main levée vers elle dans un dernier au revoir, le sourire qu'il lui adressait et qui en disait long sur les sentiments qu'il éprouvait à son égard. Cette impression qu'elle ne le reverrait jamais.

Les larmes de la beast se mêlèrent à la masse d'eau qui l'entourait et étaient immédiatement emportées par le courant. Trop concentrée sur cet événement encore douloureux, Syara n'avait même pas fait attention à ce qu'elle avait joué.

Après seulement quelques minutes, le sens des courants changèrent et propulsèrent la beast vers les profondeurs de l'océan et l'éloignèrent du rivage. Son appel avait été entendu. Elle le savait, elle le sentait à la force des émotions de la chose qui grandissaient à mesure que le temps passait.

Le trajet extrêmement inconfortable sembla durer une éternité, jusqu'à ce qu'elle arrive enfin au bout. En un instant, le courant disparut et l'environnement changea radicalement. Les alentours n'étaient plus sombres, mais nimbés d'une lumière bleue azur. Syara continuait à flotter, pourtant, elle n'était plus dans de l'eau. L'enchantement que lui avait fait Rael permettait à la beast de respirer sous l'eau et atténuait les effets de la pression. Il était certes utile, mais très inconfortable à utiliser.

Là, elle avait l'impression de se trouver à la surface. Elle n'avait aucun mal à respirer, ses gestes n'étaient pas ralentis et la pression qu'exerçait la masse de liquide sur elle ne l'oppressait plus.

— Qui êtes-vous ? questionna une voix forte et agressive devant la beast.

Des tréfonds obscures, une prodigieuse créature apparut dans la lumière. L'homme devant elle faisait plus de trois fois sa taille. Sa longue chevelure aigue-marine se nimbait d'un bleu topaze et semblait léviter derrière lui. Ses yeux d'or fixaient la jeune femme d'un regard sévère et autoritaire. Son torse nu, tout comme ses bras, arboraient des muscles saillants qui paressait tout droit sorti d'une statue d'anciens dieux humains.

Malgré tout, même si sa stature imposante lui donnait l'impression qu'elle pouvait se faire broyer par une seule de ses mains, le plus étonnant restait tout de même le bas du corps du géant. Au lieu de ses jambes, une queue recouverte d'écailles qui brillaient de mille feux se balançait et lui permettait de se déplacer avec aisance dans cet environnement.

— Je ne savais pas que des beasts habitaient dans la mer, s'émerveilla Syara.

— Ne me comparez pas à ses abominations contre nature qui rôdent à la surface. Mon peuple et moi habitons dans les tréfonds de ses océans, et ce bien avant que les hommes ne commettent tant d'atrocités et ramènent les autres races sur ce monde meurtri. Maintenant répondez à ma question ! Qui êtes-vous ?

Il parlait très clairement et, qui plus est, une langue compréhensible. La violoniste passa sur le fait qu'il venait de la traiter d'abomination et réfléchit sur ce qu'il venait de lui révéler. Il existait donc deux races intelligentes qui peuplaient ce monde avant le cataclysme.

— Je suis l'ambassadrice de la ville de Sendra et je suis venu dans le but de comprendre ce qui vous pousse à attaquer la ville.

— Ce qui me pousse à attaquer votre pitoyable ville ? Ce qui me pousse à attaquer votre ville ! s'énerva la créature humanoïde gigantesque. Rendez-moi ma fille et je ne raserai peut-être pas votre misérable cité !

Le violon de cristal: les partitions perduesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant