Chapitre 169 : La barrière de la langue

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 Arrivé à l'intérieur du bâtiment cylindrique, après un couloir qui les emmena au centre de l'édifice, Fos et Shay se retrouvèrent dans un hall d'entrée circulaire. Au rez-de-chaussée, plusieurs portes s'offraient à eux et, comme sur les piliers, un chemin en pente douce montait et permettait d'atteindre les étages. De là où ils se trouvaient, ils pouvaient voir le plafond ainsi que des balcons aux étages supérieurs. Ces créatures ne devaient pas souvent utiliser le chemin et se contentaient de se servir de leurs ailes pour atteindre l'endroit qu'ils voulaient.

Tout comme le reste de la ville, ce lieu était silencieux, du moins, presque silencieux. Depuis le rez-de-chaussée, le mage et le dragon pouvaient entendre des éclats de voix qui venaient approximativement du troisième étage.

— Tu arrives à traduire ce qu'ils disent ? s'enquit Fos.

— Nous sommes trop loin pour que je puisse deviner de quoi ils parlent. Pour que cela marche, il faudrait au moins que je me trouve dans la même pièce qu'eux.

— Eh bien il ne nous reste plus qu'à monter alors.

Toujours avec prudence, les deux compagnons se rendirent à la rampe qui permettait de monter dans les étages et rejoignirent l'étage d'où sortait les voix. D'après ce qu'ils entendaient, plusieurs hommes se trouvaient dans une pièce qui faisait face au cristal et devaient parler d'un sujet sensible vu les cris de protestation qui s'y échappaient.

— Restons un peu pour les écouter, proposa le dragon en se collant au mur juste à côté de la porte ouverte.

— Ta maman ne t'a jamais dit que cela ne se faisait pas d'écouter aux portes ? feignit de s'offusquer Fos.

Ne laissant même pas le temps à Shay d'ajouter quoi que ce soit, Fos le dépassa et entra dans la pièce.

— Bonjour à tous ! salua-t-il avec un large sourire.

— Sémé ? Fo néméra ! s'exlama l'un d'eux.

— C'est pas vrai, souffla le dragon en se cachant le visage avec sa main.

Avant que Fos n'ait le temps de faire quoi que ce soit, un déluge de sort partit dans sa direction et se heurta au bouclier que Shay venait de lever devant lui. Malgré tout, ils ne se décourageaient pas et continuaient de les bombarder.

— Tu en as d'autres des idées merdiques comme celle-là ?

— Mais j'ai été poli, j'ai dit bonjour, répondit le mage en se grattant la barbe.

— Qu'est-ce que tu ne comprends pas dans ils ne parlent pas la même langue que nous !

— Oui bah ça va ! On leur a rien fait, je ne vois pas pourquoi ils nous attaquent !

— Peut-être parce qu'on est censé se trouver en cellule...

— Faux ! Ils nous ont fait sortir !

— Sous escorte, compléta le dragon. Et monsieur n'a rien trouvé de mieux à faire que de tous les assommer !

— Il 'avait dit de me taire et je déteste qu'on me dise de me taire ! se défendit le mage.

— Qu'est-ce que tu en sais ! Tu ne parles pas leur langue !

— On en revient encore à ça ? Tu n'as aucune répartie !

Alors que leur querelle battait son plein, les sorts qui se heurtaient au bouclier commençaient à être de moins en moins fréquents. La dizaine de créatures qui se trouvaient dans la pièce baissaient un à un leur bras en se demandant ce qui se passait.

— Bon, j'en ai marre, on va en finir avec ça une bonne fois pour toute ! s'exclama Fos.

Toujours caché derrière le bouclier du dragon, le mage invoqua le violon de cristal et se mit à jouer une étrange mélodie. Avec un seul instrument, il donnait l'impression de jouer deux rythmes à la fois. Intrigué par ce que son compagnon d'aventure comptait faire, Shay maintint le bouclier et attendit de voir ce qu'il lui réservait encore. Prudentes, les créatures ailées se cachèrent, elles aussi, derrière une protection pour parer une éventuelle attaque.

Depuis sa position, le dragon vit alors que le cristal qui se trouvait à l'extérieur s'était mis à luire et brillait de plus en plus intensément. Fos était en train de combiner sa magie avec la puissance du cristal et Shay n'avait absolument aucune idée de ce qu'il s'apprêtait à faire. Manipuler autant de puissance était quelque chose de dangereux et il espérait juste qu'il savait ce qu'il faisait... Chose qui n'avait que peu de chance d'être vrai.

Au bout de quelques minutes sans que rien ne soit arrivé à part pour le cristal, le mage rangea son instrument et la lumière aveuglante qui venait de l'extérieur s'atténua.

— Qu'est-ce que tu as fait ?

— On va le savoir tout de suite, répondit-il en se tournant vers les créatures, toujours cachées derrière leurs protections. Bonjour à tous !

— B...Bonjour, balbutia l'un d'eux.

— Je rêve ou il vient de parler notre langue ?

— Pas vraiment, répondit le mage. Il vient de parler dans la sienne, mais le son n'est au final qu'une vibration de l'air. J'ai donc mêlé un sort de vent et un sort d'esprit pour que chaque personne qui ne parle pas leur langue entende la nôtre et que chaque personne de ce peuple nous comprenne.

— Et tu as fait tout ça en trois minutes ?

— Le cristal m'a beaucoup aidé.

Même s'il essayait de paraître imperturbable, Shay n'en revenait pas. Sans connaître une langue, il avait réussi un sort de traduction instantané à grande échelle. Si ce genre de sort avait existé par le passé, peut-être que la guerre des races n'aurait pas fait tant de victime et qu'il n'y aurait pas eu de guerre cyber. Cette prouesse était tout bonnement incroyable, mais un léger doute subsistait dans l'esprit du dragon.

— Et pour les jeunes enfants ?

— Comment ça ?

— Une langue n'est pas innée, il faut l'apprendre. Vu qu'ils ne comprennent pas encore celle de leur peuple, vont-ils entendre la leur ou la nôtre ?

— La nôtre je pense, réfléchit le mage.

— Et ce sort va durer combien de temps ? s'inquiéta le dragon.

— C'est ça qui est beau avec ce sort. Il est permanent ! s'exclama Fos.

— Donc les générations futures de cette race vont oublier leur langue originelle et finir par parler la nôtre. Mais tu te rends compte que tu viens de tuer une langue !

— Mais au moins maintenant on les comprend !

— Tu ne penses vraiment qu'à ta gueule !

— Et toi tu n'es jamais content !

À ces mots, et devant le regard abasourdi des créatures ailées présentes dans la pièce, les deux intrus se sautèrent dessus et commencèrent à se bagarrer sans que personne n'ait compris d'où venait leur différent.

Le violon de cristal: les partitions perduesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant