Le violon de cristal: les partitions perdues

Chapitre 90 : Les trois harpies

 Un quart d'heure après qu'Elyazra eut fini son ascension, le reste du groupe arriva enfin sur le plateau où elle les attendait. Pendant ce temps-là, la chasseresse avait pris soin de ligoter les trois harpies ensemble pour éviter qu'elles ne s'échappent.

— Enfin arrivée, souffla Syara en s'allongeant dans l'herbe.

— Oui, enfin. Mais je crois que tu vas devoir attendre encore un peu pour te reposer, dit Guard en s'asseyant à côté.

— Pourquoi ? Demanda-t-elle en tournant sa tête vers lui.

— Regarde là-bas, répondit-il. Je crois qu'Elyazra s'est un peu amusée en nous attendant.

— Comment ça ?

Suivant la direction que pointait le satyre, la beast remarqua son amie à une centaine de mètres. Elle arborait un large sourire et faisait de grands signes les incitants à la rejoindre. À côté d'elle, les trois harpies étaient assises, et ne bougeaient pas d'un cil.

— Tu n'as pas pu t'en empêcher, il a fallu que tu t'en prennes à elles, la réprimanda la violoniste en s'approchant.

— Mais c'est pas de ma faute, c'est elles qui m'ont attaquée ! En plus, je pensais que tu serais contente, je n'en ai tué aucune.

— Tué aucune ? Mais regarde dans quel état elles sont ! L'une d'elles a la peau totalement carbonisée, je ne sais même pas si je vais pouvoir la soigner !

— Encore une fois, ça n'est pas de ma faute. Je lui ai juste un peu brûlé une aile pour qu'elle tombe, mais cette imbécile n'a pas arrêté de se rouler par terre. Si elle n'avait pas bougé, elle aurait eu quelques plumes en moins, c'est tout.

— Évidemment qu'elle s'est roulée par terre, c'est ce qu'on fait quand on prend feu ! Toi aussi, tu aurais fait pareil à sa place !

— Bah non, le feu ça ne me fait rien, se contenta-t-elle de répondre en haussant les épaules.

— Tu m'énerves à toujours faire croire que tu as réponse à tout !

— Et toi tu m'énerves à m'engueuler alors que j'ai fait attention de ne pas trop les amocher pour te faire plaisir !

Plus la dispute avançait et plus le ton montait entre elles, si bien que leurs voix commençaient à se répercuter dans les montagnes et créaient des échos.

— Les filles, s'il vous plaît calmez-vous, intervint Telak.

— Mais c'est elle qui... commença à se défendre la chasseresse.

— Non, je ne veux pas le savoir, la coupa-t-il. Tu t'es défendue en pensant à ne tuer personne, c'est bien. Tu aurais pu les blesser moins gravement, c'est vrai. Ce qui est fait est fait et vos disputes n'y changeront rien. Tout ce que vous allez réussir à faire, c'est attirer d'autres harpies alors maintenant vous arrêtez !

Honteuses et se sentant comme des gamines qui venaient de se faire réprimander, Syara et Elyazra baissèrent la tête, les yeux vissés sur le sol. Depuis qu'elles se connaissaient, jamais personne n'était intervenu aussi sèchement dans leurs disputes. Le démon maintenait un regard à la fois sévère et paternel sur elles et commençait à se demander ce qui leur était arrivé pour qu'elles soient aussi immatures. Contrairement aux autres, il ne connaissait Elyazra que depuis très peu de temps, mais avait l'impression que sa présence faisait régresser Syara. D'un autre côté, elle semblait aussi plus heureuse et souriait plus souvent qu'avant.

— Aller, ça n'est pas grave, intervint Rael pour couper court à cette situation. Syara, est-ce que tu pourrais les soigner sans jouer trop fort afin d'éviter d'alerter les autres harpies qui pourraient se trouver dans les montagnes ?

— Je vais essayer.

Invoquant son instrument, la beast se mit en position en face des harpies pour lancer un sort de soin. Elle ne fit cependant pas apparaître son archet et se contenta de jouer en pinçant les cordes avec ses doigts.

Si elle avait l'habitude d'utiliser ce genre de technique sur un instrument basique, c'était la première fois qu'elle tentait l'expérience avec le violon de cristal, du moins, pour lancer un sort et non juste pour transmettre des émotions comme elle avait fait pour rencontrer le triton. Elle ne savait donc pas quel résultat cela pouvait donner.

Après plusieurs minutes à faire ce qu'elle pouvait pour jouer une mélodie apaisante malgré la contrainte, les premiers signes de guérison apparurent sur le corps des harpies. L'une d'elles, la moins amochée, sortit même de l'inconscience et regarda autour d'elle sans vraiment comprendre ce qui lui arrivait. Avant qu'elle n'ait le temps de retrouver ses esprits, Elyazra dégaina sa rapière et la plaça sous sa gorge.

— Pousse ne serait-ce que le moindre petit cri strident, et je t'assure que ce sera la dernière chose que tu feras de ta misérable vie, prévint-elle.

Résignée, la créature hocha légèrement la tête sans rien dire. Elle focalisa ensuite son attention sur la beast qui jouait devant elle. Étrangement, plus elle l'écoutait et plus elle sentait ses forces lui revenir et sa douleur à la mâchoire disparaître.

Lorsque la seconde se réveilla, elle reçut le même avertissement de la part de la chasseresse et ne chercha pas non plus à faire de vagues. Après avoir vu de quoi elle était capable, elles savaient que ça n'était pas le genre de personne à qui il fallait désobéir.

— Ça va prendre beaucoup plus de temps pour la dernière. Tu peux les détacher ? Ça sera plus facile pour moi.

— Pour qu'elles tentent de s'enfuir ? Je ne préfère pas. Après tu vas encore me crier dessus parce que je les aurai assommées.

— Vous comptez réellement la soigner ? demanda la première harpie.

— Oui. Nous ne sommes pas ici pour tuer qui que se soit.

— Alors vous pouvez nous détacher, nous n'essayerons pas de nous enfuir.

— Et qu'est-ce qui me prouve que vous allez tenir parole ?

— Tout simplement parce que nous n'abandonnerons pas notre sœur ici.

— Très bien. Dans ce cas, je vous libère de ces liens, mais si vous voulez vraiment que personne ne soit blessé, il va falloir coopérer. Nous avons plusieurs questions à vous poser sur votre clan.

À ces mots, Elyazra défit les liens qui retenaient les harpies ensemble, mais laissa ceux qui entravaient leurs serres. Tandis que Syara allongeait la plus mal en point pour examiner ses blessures et trouver une mélodie qui la soignerait efficacement, la chasseresse emmena les deux autres à l'écart avec le reste du groupe pour les interroger.