Chapitre 62: mage égoïste et mage altruiste (Elyazra)

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 Peu de temps après que Guard ait pris place à la table, le patron de l'auberge vint à leur rencontre, un plateau à la main.

— Merci pour ce que vous avez fait. On ne sait jamais ce que ce genre de personne est capable de faire.

— De par leurs pouvoirs, les mages se sentent au-dessus de tout, répondit-elle. Il est parfois bon de leur rappeler qu'ils ne sont, au fond, que de simple mortels comme tout le monde.

— Heureusement, ils ne sont pas tous comme ça.

— Ha bon ? s'étonna la chasseresse. Vous en connaissez qui n'ont pas ce trait de caractère arrogant ?

— Vous ne devez pas avoir croisé beaucoup de mages dans votre vie, rit l'aubergiste. Beaucoup sont conscients que leur pouvoir ne leur donne pas tous les droits et certains sont d'un altruisme impressionnant.

— Vous pensez à quelqu'un en particulier ? Questionna Elyazra, soudain très intéressée par cette conversation.

Il n'était pas difficile de voir les étoiles dans les yeux du nain lorsqu'il avait abordé le sujet des mages avec le cœur sur la main. Restait à savoir si cette personne méritait cette admiration.

— Une jeune beast et un démon sont passés par là il y a peu de temps. La beast vous ressemblait beaucoup d'ailleurs. Ils étaient accompagnés de beaucoup d'enfants et d'un vieil homme qu'ils escortaient jusqu'à Léfarène.

En entendant le début de cette histoire, Guard écarquilla les yeux et comprit de qui il parlait. Pour lui, ces deux-là, surtout la beast, se rapprochaient bien plus de monstres qu'autre chose. Mais, d'un autre côté, ils avaient mérité ce qui était arrivé et le satyre était content que leur rencontre ait fini ainsi. Lui faisait partie de ceux qui avait baissé leurs armes lorsqu'il s'était aperçu qu'il braquait une caravane d'enfants.

— Et alors ? Les missions d'escorte sont courantes pour les mages, je ne vois pas en quoi cela fait d'eux des saints.

— J'y viens. Ils voulaient s'arrêter ici, mais mon établissement était rempli de réfugier qui rentraient chez eux et je ne pouvais malheureusement pas les accepter. Le démon a alors sorti sa guitare et, avec ses pouvoirs, a agrandi mon auberge pour que tout le monde puisse entrer.

— Donc, vous les considérez comme bon parce qu'ils ont fait une extension à votre fonds de commerce.

— Cela est secondaire. J'ai pu parler avec le démon et plus tard avec le vieil homme. La beast était en fait celle qui avait arrêté le déluge de Sendra et ils escortaient gratuitement des enfants qui venaient de perdre leurs parents. Le plus beau, c'est qu'elle leur a offert tout l'argent qu'elle a gagné pour avoir sauvé la ville afin qu'ils puissent s'installer une fois arrivé à Léfarène.

Il est vrai que, dit comme ça, cette beast intriguait Elyazra. Elle se promit qu'une fois qu'elle serait arrivée à destination de rechercher cette mage apparemment si gentille avec tout le monde. Mais pour l'instant, sa priorité était d'ingurgiter autant de nourriture qu'elle le pouvait et ce nain avait intérêt à avoir du stock.

— En tout cas, merci encore de m'avoir débarrassé de ce mauvais client. Comme vous m'avez rendu service, je vous offre la chambre.

— Non merci, rétorqua Elyazra. Je n'ai pas viré un mauvais payeur pour en devenir une moi aussi.

— Comme vous voulez, mais laissez-moi au moins vous offrir une pinte.

— Si vous insistez. Et nous prendrons à manger avec ça.

— C'est noté, je vous ramène ça de suite !

L'aubergiste repartit en cuisine et Guard put enfin souffler. Si la beast avait parlé avec le patron, il y avait des chances qu'elle lui ait raconté ses altercations avec son groupe. De plus, étant le seul satyre parmi les bandits et reconnaissable à cause de sa corne cassée, elle lui avait peut-être décrit son portrait.

— Tu sembles soucieux, rétorqua la chasseresse en le regardant droit dans les yeux.

— J'ai croisé cette beast et ce démon. La première fois, ils ont tué deux de mes amis et la seconde, elle a défiguré notre chef à coups de poings. Je ne sais pas s'ils sont vraiment bons ou mauvais, mais en tout cas, ils sont redoutables.

— Redoutable ? Un enfant de dix ans pourrait vous terrasser, rit-elle.

— Dix ans ? Tu n'es pas un peu dure là ?

— En tout cas, moi j'aurais pu vous terrasser lorsque j'avais dix ans.

— Ne le prend pas mal, mais vu ce que tu es capable de faire, je ne pense pas que tu sois une référence.

— Si tu le dis... En tout cas, je suis rassurée. Je croyais que tu ne te sentais pas bien parce que les personnes à la table du fond n'arrêtent pas de te dévisager.

Étonné, le satyre jeta un coup d'œil par-dessus son épaule et vit, attablé dans un coin de la pièce, une famille nombreuse qui mangeait. Le père jetait sur lui un air de défi alors que la mère était un peu plus inquiète.

— Des amis à toi ? questionna-t-elle.

— Non... D'anciennes victimes. Excuse-moi, je dois aller leur parler.

Guard prit son courage à deux mains et se leva pour les rejoindre. Le père, surpris par son approche, allait pour se lever lui aussi et faire quelque chose de regrettable, cependant, le satyre parvint à le calmer et à le faire se rasseoir.

De là où elle se trouvait, Elyazra n'entendit pas la conversation qui dura un long moment. Il était resté avec eux tellement longtemps que le plat apporté par l'aubergiste était devenu froid et que la chasseresse en était à sa sixième pinte et sa troisième assiette.

Avant de revenir vers elle, l'ancien bandit remit à la famille sa bourse et repartit s'asseoir. Il avait visiblement réussi à se faire pardonner, mais il ne pourrait pas non plus faire ça à chaque fois.

— C'est réglé ?

— Oui, mais il faudra que je passe par un poste de garde ou chez les mages une fois arrivé en ville.

— Pourquoi ? Tu comptes te faire arrêter ?

— Non. J'ai dit à mes amis qu'ils ne devaient pas toucher au butin que nous avions amassé. Je compte aller leur divulguer les différentes cachettes pour que les victimes puissent récupérer leurs biens.

— Comme tu voudras.

Elyazra porta sa pinte à ses lèvres et se rendit compte que celle-ci aussi était vide.

— Patron, une autre ! Hurla-t-elle à travers l'auberge.

Pendant les heures qui suivirent, la chasseresse enchaîna pinte sur pinte et finit par s'affaler sur la table. Du point de vue du satyre, elle ne semblait plus du tout dangereuse endormie ainsi. Fort heureusement, elle n'avait pas l'alcool mauvais, pensa-t-il.

Avec précaution, Guard la prit dans ses bras et l'emmena dans sa chambre où elle continua sa nuit en dormant à poings fermés.

Le violon de cristal: les partitions perduesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant