Chapitre 33 : L'entrepôt 2B

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Guidé par Rael, l'apprentie mage et son mentor se dirigèrent vers le quartier des entrepôts. Ce dernier se trouvait au pied du mur et était constitué d'immenses hangars qui se ressemblaient tous. La seule chose qui permettait de les différencier était leur matricule inscrit en gros sur leur façade.

— Au fait Syara, tu as caché certains de tes pouvoirs lors de notre rencontre, dit le démon d'un air étonné pendant qu'ils cherchaient le bon entrepôt.

— De quoi tu parles ?

— La musique transmet des émotions, c'est connu. Mais pas à ce point-là.

— Je ne sais pas, j'ai toujours réussi à transmettre des émotions comme ça, même lorsque je ne jouais pas avec mon instrument lié, rétorqua-t-elle en haussant les épaules.

— Un pouvoir inné, voilà quelque chose d'extrêmement rare, commenta Rael. Ton cas est vraiment spécial et très intriguant.

Spécial ? Elle s'en était rendu compte lorsqu'elle avait reçu son violon et l'avait utilisé pour la première fois, mais jamais elle ne s'était sentie différente des autres avant ça. Cependant, maintenant qu'elle y pensait, il est vrai que lorsque les autres élèves jouaient une même mélodie, le rendu final n'était pas pareil. Pour un passage triste, cela allait généralement de l'indifférence la plus totale à la petite larme versée, mais jamais les autres n'avaient réussi à faire fondre en larmes leurs professeurs au point de devoir interrompre le cours.

En une vingtaine de minutes, les trois mages arrivèrent en vue du hangar ou était retenue la sirène. L'entrepôt se trouvait à une centaine de mètres du rempart, au bord d'une large route dégagée où plusieurs mages allaient et venaient, instrument à la main.

— Ça n'est pas normal, rétorqua l'elfe noir à voix basse. J'ai déjà été affecté au maintien du bouclier de vent dans ce secteur et trois mages suffisent. Là j'en compte sept.

— Huit, rectifia Syara qui avait entendu un bruit suspect entre deux bâtiments.

— Dans ce cas, préparez-vous à invoquer vos instruments.

D'une démarche sereine et décontractée, ils s'approchèrent de leur objectif, Mais à peine avaient-ils fait dix mètres en direction du hangar qu'un mage vint à leur rencontre.

— Halte ! Vous ne pouvez pas passer. Le bouclier a été endommagé et nous sommes en train de le consolider. En attendant, avec les risques d'inondations, personne n'est autorisé à passer.

Avec ses explications, la violoniste ne put s'empêcher de lever les yeux au ciel. Le dôme protecteur semblait en bon état et sa voix hésitante présageait plus d'une excuse pour condamner l'endroit qu'un réel problème.

— Ne vous en faites pas, nous n'irons pas plus loin. L'entrepôt que nous devons visiter se trouve juste là, répondit Telak en pointant le bâtiment sur lequel était inscrit deux signes représentant un deux et un B.

— Désolé, il se trouve dans le secteur touché. Interdiction d'y aller.

— Il doit y avoir méprise, c'est Xain du conseil qui nous envoie.

À l'évocation de ce nom, le mage ne put cacher sa surprise. Il reprit tout de même contenance et ne bougea pas d'un centimètre.

— Vous a-t-il dit quelque chose de particulier ?

— Il nous a demandé de vérifier l'état de la marchandise, rétorqua Rael avec un regard entendu.

— Dans ce cas allez-y, mais dépêchez-vous, céda-t-il.

Le mage fit un pas de côté et les laissa passer. Ils n'étaient plus qu'à quelques mètres de la porte lorsque Syara entendit un léger vrombissement derrière elle.

— Attention ! Hurla-t-elle en plaquant ses compagnons au sol.

À peine une seconde après avoir crié, une lame de vent s'écrasa contre le mur du hangar. À hauteur de tête, cette attaque les aurait décapités si elle n'avait pas réagit à temps.

— Je crois bien qu'il fallait donner un mot de passe, dit l'elfe noir avec un demi-sourire.

Alors qu'ils se relevaient et invoquaient leurs instruments, les autres mages de la rue se précipitèrent dans leur direction, instrument à la main.

— Va retrouver la sirène à l'intérieur, on s'occupe d'eux, ordonna le démon à son apprentie.

— Tu es sûr ?

— J'ai confiance en toi. Et puis comme ça, tu pourras te déchaîner sans craindre de nous blesser. Fonce, on te rejoindra dès que ceux-là auront mordu la poussière.

La beast voulut protester. Elle voulait rester avec eux et combattre à leur côté. Cependant, Telak n'avait pas tort, sans la maîtrise de ses pouvoirs, elle était un danger pour ses coéquipiers et ne ferait que les gêner. Le regard déterminé et rassurant du bassiste finit de la convaincre de lui faire confiance et de s'engouffrer dans l'entrepôt.

Les bruits du combat parvinrent à ses oreilles au moment où elle passa la porte. L'intérieur était totalement encombré de caisses en métal où en bois qui créaient un couloir faiblement éclairé par des orbes qui lévitaient à quelques centimètres du plafond. Prête à tout ce qui pouvait arriver, Syara s'engouffra entre les murs de caisse et arpenta ce qui ressemblait de plus en plus à un labyrinthe.

Au bout de quelques minutes, alors que les bruits du combat faiblissaient, l'idée d'escalader la paroi pour avoir une vue d'ensemble lui traversa l'esprit. Elle abandonna cependant cette idée lorsqu'une pile de caisse faillit l'écraser alors qu'elle avait juste posé les mains dessus.

La structure n'était pas stable et rien ne lui indiquait où se trouvait la fille du triton. Rien ? La beast repensa à ce dont avait parlé Telak quelques minutes avant. Elle pouvait transmettre des émotions sans instrument lié, mais elle pouvait aussi ressentir celles des autres. La violoniste se concentra donc et partit mentalement à la recherche de ses sentiments.

Il ne lui fallut pas longtemps pour sentir la peur, le désespoir et la détresse comme si ses émotions étaient les siennes. Guidé par ce fil invisible qui la reliait à ce qu'elle pensait être la sirène, Syara parcourut le dédale qui déboucha sur une caisse gigantesque. Contrairement aux autres plus petites, celle-là montait presque jusqu'au plafond et était incroyablement large. Pas étonnant que Xain et ses acolytes n'aient pas réussi à la sortir sans attirer l'attention. Cette énorme boite d'où émanaient les émotions ne s'ouvrait apparemment pas avec un pied-de-biche mais grâce à une serrure qui, étrangement, ressemblait à celle de la porte de son appartement.

Elle connaissait bien ce système et, avec un sourire triomphant, donna un prodigieux coup de pied au bon endroit. Comme elle l'espérait, un déclic se fit entendre et la façade de la caisse tomba au sol dans un énorme fracas.

À l'intérieur de ce qui ressemblait à un aquarium géant, une femme à queue de poisson flottait étrangement. Contrairement à son père, la sirène était rachitique. Sa peau grisâtre, ses cernes et ses écailles ternes ne présageaient rien de bon. Comble de la situation, Syara n'avait aucune idée de comment la remettre à l'eau sans risquer la vie de celle qu'elle devait sauver.

Alors qu'elle réfléchissait, un cliquetis résonna derrière elle.

— Vous avez réussi à arriver jusque-là, bravo. Mais votre petite enquête s'arrête ici.

Lorsqu'elle se retourna, l'apprentie mage vit un humain qui pointait sur elle un étrange objet en métal qui n'augurait rien de bon. Elle avait déjà vu ce genre d'objet dans ses livres d'histoire et dans des musées. L'une des armes favorite des humains d'avant le cataclysme, un pistolet. Et celui-ci était braqué sur elle.

Le violon de cristal: les partitions perduesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant