Occupé à essuyer un verre derrière son comptoir, Kuta releva les yeux en entendant son nom. Lorsqu'il aperçut Syara, la surprise fut telle qu'il manqua presque de lâcher son verre. Il le fit maladroitement passer d'une main à l'autre dans l'espoir de ne pas le briser, comme s'il jonglait avec, jusqu'à ce qu'il arrive enfin à bien le saisir et à le reposer sur le comptoir, intact.
— S...Syara ? balbutia-t-il.
Cette légère maladresse, ce timbre de voix, ce bégaiement lorsqu'il était surpris... En un instant, la beast avait l'impression d'avoir fait un saut de plusieurs mois dans le passé, lorsqu'elle n'était encore qu'une étudiante. Pour une fois elle devait admettre que le professeur Vedo avait raison. Ce bar était le meilleur de Céol.
— Je... Tu... Qu'est-ce que tu fais là ?
— J'étais... J'étais en mission à Céol et... dit-elle en cherchant ses mots.
— Tiens ! Une amie à toi ? questionna un démon en sortant d'une pièce devant servir de réserve.
— Une très bonne amie, confirma-t-il. Malheureusement, on s'est perdu de vue il y a quelque temps.
— Dans ce cas, prends ta pause, je te remplace, lui proposa-t-il.
— Je veux bien, merci.
Après avoir soigneusement plié son torchon, Kuta sortit de derrière son comptoir et indiqua une table au fond de la salle, à l'écart. L'endroit parfait pour pouvoir discuter tranquillement sans être dérangé. D'un coup d'oeil, Syara vérifia de son côté que son absence ne poserait pas de problème. Le groupe s'était installé à une grande table ronde et attendait pour pouvoir commander. Avec un hochement de tête, Telak lui indiqua qu'il avait compris qu'elle voulait s'entretenir seule avec son ami.
Malgré tout, ça n'était pas lui qui l'inquiétait. Elyazra, assise à côté de Phi, commençait déjà à se faire entendre. Selon elle, la jeune fée était à présent assez grande pour boire et, malgré les refus polis de sa part, la demi-dragonne semblait bien déterminée à lui faire prendre une ou deux pintes.
La situation était pour le moment sous contrôle grâce aux autres membres du groupe qui se dressaient contre elle, mais il faudrait tout de même qu'elle garde un œil sur Elyazra. Lorsqu'elle voulait quelque chose, même insignifiant, elle pouvait se révéler d'une fourberie hors du commun.
— Ne t'en fais pas, nous ne servons pas d'alcool aux mineurs ici, la rassura Kuta en s'asseyant à la table.
— D'un côté, ça me rassure, mais d'un autre, je me dis que ça n'est pas ça qui va l'arrêter, sourit la beast en l'installant en face de lui.
Dès qu'ils furent assis, et même si un début de conversation avait eu lieu, un long silence s'installa à leur table. Syara n'avait pas revu son meilleur ami, le seul qu'elle ait eu pendant toute son adolescence, depuis plusieurs mois. Elle avait vécu des choses extraordinaires et était impatiente de savoir ce qu'il était devenu, mais à cet instant, elle n'arrivait tout simplement pas à ouvrir la bouche. Tout était mélangé dans sa tête, au point qu'elle ne sache pas par où commencer.
— Tu as l'air de t'être entourée de personnes hautes en couleur, finit-il par dire en regardant la table du groupe où les chamailleries enfantines avaient déjà commencé.
— Ça, c'est le cas de le dire, rit-elle.
— Voir que tu peux compter sur autant de personnes me rassure. Lorsque monsieur Védo m'a dit que tu étais devenue mage et que tu étais partie de Céol, j'avais peur que tu n'arrives pas à trouver de personnes avec qui voyager.
— Dis que je suis invivable pendant que tu y es ! s'emporta la violoniste.
D'habitude, lorsqu'elle élevait la voix ainsi, Kuta se confondait en excuse pour se faire pardonner ou bien s'apprêtait à prendre ses jambes à son cou s'il sentait qu'il n'échapperait pas à son courroux en se soumettant. Là, il se contenta de sourire en la fixant d'un regard triste et mélancolique.
— Ça n'a pas dû être facile de ton côté, compatit Syara.
— La dernière chose dont je me souviens de ce jour est que nous étions sur le point de rentrer dans la salle où la cérémonie devait se dérouler. Ensuite, je me suis retrouvé de nouveau à l'extérieur, je savais qu'elle était terminée et que j'avais échoué quelque chose, mais impossible de me souvenir de quoi que ce soit.
— J'aimerai tellement pouvoir tout t'expliquer...
— Pas la peine, monsieur Védo m'a déjà dit que cette amnésie était due à mon échec et qu'il était impossible pour les mages d'en parler. Je t'ai dit que j'étais inquiet lorsque j'ai appris que tu étais partie, mais j'étais aussi extrêmement content pour toi. En vérité, je pense que j'ai plus été heureux de savoir que tu avais réussi que si j'avais moi-même passé avec succès cette mystérieuse épreuve.
— Ne dis pas ça, tu méritais bien plus de devenir mage que quiconque se trouvait à cette foutue cérémonie, le contredit-elle.
— Tu n'as pas besoin de me plaindre, je suis heureux de voir que tu es épanouie en tant que mage et ma vie actuelle me plaît. J'aime être au contact des gens et être posé. J'ai un bon salaire, du moins, il me permet de vivre convenablement et de me faire des petits plaisirs de temps en temps, un chez-moi douillet et bien situé, une petite-amie...
— Une quoi ? s'exclama la jeune femme, surprise.
— Elle s'appelle Ligénis, elle était dans une classe du même niveau que la nôtre et a échoué, comme moi, lors de la cérémonie. Pour nous deux, devenir mage semblait être quelque chose d'acquis et nous n'avions pas prévu de plan de secours, alors nous avons participé à de nombreuses réunions d'orientation pour trouver notre voie et ça nous a rapproché.
Ça, Syara ne s'y attendait pas du tout. Lui qui était si timide et toujours avec elle avait réussi à se trouver quelqu'un. Le fait qu'elle monopolise son attention toutes ses années l'avait-il empêché de s'épanouir ? En tout cas, qu'il s'en souvienne ou non, il n'était à présent plus question de lui parler de ce qu'il comptait lui dire avant d'être appelé pour placer sa main dans le coffre de cristal.
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Le violon de cristal: les partitions perdues
FantasyDans un monde où musique est synonyme de magie, où presque toute forme de technologie à disparue, où les humains ne sont plus les seuls êtres pensants de la planète depuis bien longtemps et où la terre, ravagée par les guerres, se remet peu à peu, v...