Chapitre 16 : Insomnie

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Marcher toute une journée sans réelles pauses, mise à part pour manger, avait épuisé la beast. Mais, malgré cela, elle n'arrivait pas à trouver le sommeille. Étaient-ce les ronflements des autres voyageurs, ou bien les sanglots de certains ? Non, tout ça n'avait rien à voir avec son insomnie. Elle ne pouvait pas dormir à cause de la réflexion que lui avait faite Telak. Elle tournait dans sa tête, encore et encore.

Obnubilée par ses paroles, Syara se leva de son lit et sortit du dortoir sur la pointe des pieds. En quête d'une fraîcheur qui l'aiderait à réfléchir et remettre de l'ordre dans ses pensées, la jeune femme sortit de l'auberge et s'assit sur un banc de pierre à collé au mur du bâtiment, à quelques mètres de la porte.

Une température acceptable, un léger vent frais, un silence d'or uniquement perturbé par les bruissements des feuilles dans les arbres. Tout était réuni pour réfléchir en toute sérénité.

L'élément déclencheur de cette remontrance avait été son commentaire qu'elle avait lancé à l'aubergiste et que le démon avait qualifié comme blessant. Son comportement était-il réellement si agressif et désagréable que ça ? Syara se remémora, un à un, les événements de la journée. La marche en silence, Telak qui se moquait d'elle, le rocher, l'auberge où elle ne pouvait pas s'exprimer librement et, enfin, l'arrivée du nain.

À bien y réfléchir, le pauvre n'avait absolument rien fait ni dit de mal. Poli, souriant, juste un peu curieux. Il s'était, enfin de compte, juste trouvé là au mauvais moment. Elle avait été exécrable et s'en rendait compte à présent. Le pire, c'est que lui était attentionné et leur avait même offert les boissons en apportant le repas.

Un grincement la sortit de ses pensées. Sur le pas de la porte, l'aubergiste allumait sa pipe, tout en contemplant l'obscurité qui s'étendait devant lui.

— Vous n'arrivez pas à dormir ? demanda-t-il.

Syara n'était pas sûre qu'il s'adressait à elle. Depuis qu'il était sorti, il n'avait fait que fixer un point en face de lui. Y avait-il quelqu'un d'autre ? Pourtant, elle n'avait ressenti aucune présence. L'aubergiste tourna la tête dans sa direction et lui fit un léger signe. C'était bien à elle qu'il parlait.

— Non, j'ai trop de choses qui tournent dans ma tête pour ça, répondit-elle.

— Vous savez, il est parfois bon de se confier aux autres. S'il vous sent l'envie de parler, je suis là.

Étrange, pour tenir ce propos, il fallait normalement être proche de son interlocuteur, et pourtant, lui le faisait avec une parfaite inconnue. Mais, après tout, pourquoi pas. Ça lui ferai sans doute du bien de parler.

— Je... hésita la jeune femme, cherchant ses mots. Je voulais m'excuser. J'ai été désagréable avec vous alors que vous n'y étiez pour rien.

— Et c'est ça qui vous torture l'esprit ?

— En partie...

Le nain fixa le visage de la jeune femme. Il analysa brièvement la sincérité de ses dires, puis s'esclaffa d'un rire gras.

— Ma petite dame, il ne faut pas vous en faire pour ça ! J'ai vu un nombre incalculable de voyageurs, et vous n'entrez même pas dans le top mille des plus désagréables. J'ai appris à passer outre les humeurs des clients. Et, votre question n'était pas dénuée de sens. Je connais plus d'une personne qui aurait été ravi de cette soudaine affluence, quel qu'en soit la cause. Vous voyez, il n'y a pas de quoi en perdre le sommeil.

L'aubergiste offrit à Syara un sourire chaleureux et réconfortant, puis tira une nouvelle fois sur sa pipe. Ses paroles l'avaient, en partie, soulagé de ses sombres pensées.

— Dits, je peux vous poser une question ? demanda-t-elle.

— Allez-y.

—Comment un établissement tel qu'une auberge perdue entre deux grandes villes peut perdurer alors que tout le monde utilise des téléporteurs ?

Le nain se lissa la moustache d'une main et réfléchit quelques instants avant de répondre.

— Hé bien, je dirai que les personnes viennent et reviennent avant tout grâce à l'incroyable charisme du propriétaire, rit l'aubergiste.

Face à cette réponse, Syara ne put refréner un léger sourire.

— Plus sérieusement, reprit-il, ceux qui s'arrêtent ici sont principalement des commerçants qui ne veulent pas prendre de portail à cause du prix ou bien des personnes qui veulent se rendre en forêt.

— Les commerçants ne prennent pas les portails ? s'étonna la jeune femme.

— Pour les grands trajets, si. Mais pour relier Sendra à Léfarène, ils préfèrent perdre quelques jours de voyage plutôt que de l'argent en empruntant un portail. Ce n'est pas parce qu'ils sont avares, mais tout simplement parce qu'autrement, ça ne serait pas rentable pour eux.

— Et vous avez une idée de ce qui se passe à Sendra ?

— Un raz-de-marée qui dure depuis un mois ? Tout ça n'a rien de naturel. Si j'étais vous, je ne me concentrerais pas sur le moyen de l'endiguer, mais sur la cause elle-même. Il doit y avoir quelque chose dans cette ville qui créé ce phénomène.

— Ou quelqu'un... Mais pourquoi attaquer une ville ainsi ?

— Ça, c'est à vous de le découvrir. Je ne suis peut-être pas mage, mais j'ai le pressentiment que vous aurez un rôle important à jouer dans la résolution de cette énigme.

— Qu'est-ce qui vous fait dire ça ? questionna-t-elle en arquant un sourcil, dubitative.

— Vous essayez de le cacher en créant une carapace, un masque de dur à cuir que rien n'affecte. Mais, au fond, vous avez bien plus d'empathie que la plupart des autres mages.

Syara écarquilla les yeux, étonnée par la réponse que lui avait donnée l'aubergiste. Décidément, elle commençait à en avoir assez que tout le monde lise en elle comme dans un livre ouvert. Elle qui croyait connaître toutes les subtilités pour cacher ses sentiments avait été percée à jour trois fois, en trois jours, par trois personnes différentes.

— Ne voyez pas ça comme une faiblesse, reprit-il. Qu'importe les pouvoirs que vous octroie le statut de mage, l'empathie et de loin la plus puissante de vos facultés.

— Et qu'est-ce qui vous fait dire que j'ai réellement cette qualité ? rétorqua-t-elle, autant pour avoir plus d'explication que pour tester jusqu'où son analyse pouvait aller.

— Hé bien, vous êtes là, dans l'impossibilité de trouver le sommeil, juste parce que vous avez fait une remarque tout juste blessante à un parfait inconnu. Là ou une personne normale aurait oublié, vous, vous vous torturez l'esprit à l'idée d'avoir heurté quelqu'un.

— Vous avez peut-être raison en fin de compte... Les clients reviennent avant tout pour voir le patron de cet établissement.

La jeune femme offrit un large sourire à ce confident d'un soir qui lui rendit de bon cœur.

— Allez, vous devriez aller vous coucher. La route est encore longue jusqu'à Sendra.

— Vous avez raison. Bonne nuit.

— Bonne nuit petite.

Le violon de cristal: les partitions perduesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant