Chapitre 51: Arael (Telak)

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Après que Telak ait rendu visite à sa protégée, le démon se rendit dans le quartier sud de Léfarène, là où se trouvait la place des téléportations. Grâce à ses puissantes ailes, il survola la ville en un rien de temps et se posa devant l'endroit qu'il cherchait. La place était en fait un immense bâtiment, aussi grand que le hall des musiciens, mais ne comportait que peu de décorations extérieures.

À l'intérieur, une foule presque compacte allait et venait, apparaissait et disparaissait à travers des vortex alignés comme le seraient des légumes dans un champ. À l'entrée, plusieurs guichets permettaient à qui le voulait d'acheter un passage vers n'importe quelle ville du monde, si tant est qu'elle soit munie d'un portail elle aussi.

Sans se presser, le bassiste se positionna dans la file d'attente et attendit patiemment son tour. Il repensa à toutes les fois où il avait dû quitter cette ville pour partir en mission. Si certaines n'étaient pas très loin comme Léfarène, d'autres, telle que celle-ci, l'envoyait à l'autre bout du continent.

— Bonjour monsieur ! salua le guichetier. Que puis-je faire pour vous ?

— Bonjour, il me faudrait un passe pour Arael.

— Arael. Très bien, cela vous fera quatre-vingt-cinq pièces.

De sa bourse, Telak en sortit la somme et attendit les prochaines directives. L'employé de la place lui remit alors un pendentif qui ressemblait à une simple plaque de métal et pointa ensuite une direction approximative.

— Quatrième rangée, troisième portail en partant de la gauche, indiqua-t-il. En vous souhaitant une bonne journée, au revoir !

Grâce à ses indications et à son expérience de voyageur, Telak trouva immédiatement le vortex qu'il devait prendre. Lorsqu'il s'approcha de l'anneau en pierre, son pendentif s'illumina faiblement et le portail apparut. D'une couleur rouge, les teintes s'approchaient de plus en plus du orange à mesure que la spirale atteignait le centre de l'anneau.

Sans aucune crainte, le démon s'engouffra dans le passage. Immédiatement, un vent frais lui fouetta le visage et le força à fermer les yeux. Cette sensation dura une vingtaine de secondes avant que le vent ne se calme, signe qu'il était sur le point d'arriver à destination. Il parcourut les quelques mètres pour sortir du portail et se retrouva sur la place de téléportation d'Arael.

Le fait qu'il fasse nuit dans cette région du monde et que cette ville ne soit pas aussi attractive que Léfarène rendaient l'endroit presque désert. Le démon sortit de l'édifice et plongea immédiatement dans un intense brouillard. Seuls de vagues silhouettes et de faibles lumières passaient à travers. La région, autrefois théâtre de violents affrontements entre les hommes et les autres races, était à présent plongée dans une obscurité bien plus sombre qu'autre part dans le monde. Les nuages noirs, bien plus épais qu'à Léfarène, ne laissaient même pas passer assez de lumière pour donner assez d'énergie aux arbres afin qu'ils créent des feuilles. Ainsi, ils semblaient plongés dans un état de léthargie hivernal permanent. Cette impression s'accentuait avec les températures glaciales qui sévissaient malgré la saison.

La vie n'était pas facile pour les habitants de cette région. Rien ne pouvait pousser dans ces terres stériles et l'élevage n'était guère viable non plus à cause des créatures qui s'étaient installées et avaient muté.

S'ils s'obstinaient à rester ici, c'était à cause des cristaux de magie qui se trouvaient dans ces terres. Les violents affrontements qui s'étaient déroulés à cet endroit lors du cataclysme avaient donné lieu à un phénomène étrange qui ne s'était produit qu'ici. De la magie s'était concentrée en des gemmes qui permettaient, pour ceux qui savaient les manier, d'acquérir des pouvoirs ou de les renforcer pendant un court laps de temps. La poussière de ses cristaux était aussi très utilisée pour ancrer les enchantements plus profondément dans les objets et ainsi les faire tenir plus longtemps. L'excavation de ses cristaux était sans aucun doute la profession la plus lucrative au monde.

Arael, quant à elle, était une ville qui contrastait radicalement avec Léfarène. Malgré son nombre important d'habitants, très peu de bâtiments ne dépassaient les deux étages. Les Araelins préféraient avoir leur propre maison que de s'agglutiner dans des immeubles. De ce fait, Arael était devenue la capitale la plus étendue au monde.

Telak, lui, avait déjà fait plusieurs missions dans ses contrées et connaissait donc les lieux. Il se dirigea, presque à l'aveugle, vers l'auberge la plus proche. La, à l'intérieur, se trouvait le reste du groupe avec lequel il avait rendez-vous.

À peine avait-il passé la porte qu'une voix féminine s'éleva au fond de la pièce.

— Tu es en retard !

Sans tenir compte de la remarque, le bassiste s'approcha de leur table.

— Laisse-le, je suis sûr qu'il a une bonne excuse, le défendit un autre en dévorant l'accusatrice des yeux.

Malgré les remontrances, Telak était heureux de les revoir. Valana, celle qui avait parlé la première, était de la race des démons, comme les quatre autres d'ailleurs. Bien qu'elle soit la plus jeune du groupe, c'était sans conteste la plus intransigeante sur la ponctualité. Ses prédispositions avec la magie étaient telles qu'elle pouvait sentir n'importe quel enchantement à des lieux à la ronde.

Grem, celui qui venait de le défendre, était le mari de Valana. Plus vieil ami de Telak, il ne manquait jamais de lui faire remarquer que sa vie était parfaite auprès de sa femme et de son fils.

À côté de lui, Mor, le deuxième homme du groupe, attendait d'entendre l'explication qu'allait donner Telak sur son retard. D'un naturel calme, il réfléchissait toujours avant de faire quoi que ce soit et était bien souvent de bon conseil.

Enfin, Agrat, deuxième femme et chef du groupe, était autoritaire, mais savait tout aussi bien écouter, encourager et resserrer les liens de l'équipe lorsque c'était nécessaire. Ces qualités faisaient d'elle une meneuse parfaite pour les missions aussi périlleuse que celle qu'ils allaient entreprendre.

— J'ai en effet une bonne excuse, lança Telak en prenant place à table.

— Alors nous t'écoutons, dit Agrat.

— Je m'inquiétais pour une amie qui ne va vraiment pas bien en ce moment. Je suis donc passé la voir une dernière fois avant de venir et ça m'a mis en retard.

À l'évocation du mot amie, tous écarquillèrent les yeux et le regardèrent de travers. Il faudrait plus d'explication de sa part pour être convaincant et éviter un éventuel quiproquo.  

Le violon de cristal: les partitions perduesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant