Le violon de cristal: les partitions perdues

Chapitre 49 : Confrontation inégale

Allongée sur le ventre, Syara tentait tant bien que mal de se relever et de retrouver sa respiration. Prise d'une quinte de toux dû à sa strangulation, la jeune femme ne portait aucune attention à son double qui marchait dans la direction. Comment était-ce possible ? Comment un rêve pouvait-il retranscrire une douleur aussi réaliste ?

La voix qui lui avait conseillé de fuir était à présent parfaitement audible. Elle l'encourageait à se relever et s'enfuir aussi vite qu'elle pouvait.

Alors que la beast commençait tout juste à prendre appui sur ses coudes, la chose arriva à son niveau et assena, sans attendre ni laisser la moindre chance d'esquiver, un puissant coup de pied dans le ventre de sa victime. Le choc envoya voler la violoniste sur plusieurs mètres et lui coupa de nouveau le souffle. Syara atterrit lourdement sur le dos et regarda, impuissante, en direction de son double. S'il continuait à avancer ainsi, elle n'aurait jamais le temps de se ressaisir avant qu'il ne l'envoie encore balader, ou pire.

Pendant qu'elle réfléchissait à un moyen de s'en sortir, quelque chose près de son bourreau attira son attention. Derrière lui, à quelques mètres du miroir, son violon rayonnant de pureté semblait l'appeler. Syara tendit sa main dans sa direction et vit son instrument se téléporter auprès d'elle.

Lorsqu'elle s'en saisit, la beast sentit une douce chaleur l'envelopper. Elle n'avait lancé aucun sort, pourtant son mal de gorge avait disparu, plus aucune douleur au ventre ne la tiraillait et elle pouvait facilement se relever.

Syara ne savait pas quelle était cette chose qui lui ressemblait. À vrai dire, elle s'en fichait. Tout ce qui lui importait à présent était de lui rendre la monnaie de sa pièce pour ce qu'elle lui avait fait.

Face à son double, la beast plaça son violon sur son épaule et fit apparaître, dans son autre main, son archet. En la voyant agir ainsi, l'agresseur s'arrêta net et pencha la tête sur le côté, intrigué par ce qui allait arriver.

Le double n'eut pas à attendre plus longtemps. À peine l'archet avait-il frôlé une corde qu'un prodigieux geyser bouillonnant partit de devant la beast et s'écrasa contre la chose. Syara, étonnée, regarda un instant son instrument. Depuis qu'elle l'avait, jamais elle n'avait réussi à lancer un sort aussi rapidement, qui plus est, le bon et au bon endroit. Elle reporta ensuite son regard sur son double qui devait être... Rien. Il n'avait pas reculé d'un millimètre et aucune goutte d'eau ne lui était atterrie dessus. Archet devant lui, il avait réussi à séparer l'attaque en deux pour ne pas être touché.

—Il ne fallait surtout pas faire ça, fuis !

Les traits du double se durcirent encore plus. À cet instant, Syara sentit qu'elle avait peut-être fait une grosse erreur. La chose invoqua l'instrument corrompu qu'elle avait laissé tomber lorsqu'elle l'avait prise à la gorge et fit crisser l'archet sur les cordes. Outre le son atroce qui lui vrillait les tympans, Syara dût effectuer une roulade sur le côté pour esquiver le geyser d'eau boueuse qui lui fonçait dessus.

À peine avait-elle repris son équilibre que la seconde attaque arrivait. Un mur de flamme noire apparut derrière elle et lui barra le passage. Toute retraite était impossible. Comment cette chose faisait-elle pour lancer des sorts avec autant de précision et de vitesse alors qu'aucune de ses notes n'était correcte ?

Syara réfléchit un instant pendant que son double recommençait à avancer. Elle aussi arrivait visiblement à bien lancer ses sorts. Tout n'était donc pas perdu. La jeune femme recommença donc à jouer avec une idée derrière la tête qui pouvait tout aussi bien la sauver que la condamner.

Alors que la douce mélodie de son instrument résonnait comme si elle se trouvait dans une cathédrale, une petite tornade apparut à ses pieds et la recouvrit jusqu'à la taille sans lui faire de mal. Grâce à ce sort, Syara s'envola et franchit sans encombre le mur de feu.

Malgré l'urgence et le danger de cette situation, cette sensation de contrôle parfait de ses pouvoirs était grisante. Elle n'avait qu'à penser précisément au sort qu'elle voulait et jouer pour que le violon réponde et fasse exactement ce qu'elle souhaitait.

Grâce à son sort de vent, elle allait beaucoup plus vite dans les airs qu'à pied. De plus, son double était bloqué en bas par son propre sort. Du moins, c'est ce qu'elle pensait. La chose traversa les flammes sans s'en soucier et ressortit sans une égratignure. Elle releva ensuite les yeux et vit sa proie prendre la fuite. S'en était assez. Elle avait bien joué avec elle, il était temps à présent d'en finir.

Le reflet hurla d'une voix stridente et envoya de nouveau un sort sur la beast. Un rayon noir d'énergie pure partit de son violon à une vitesse prodigieuse et toucha la jeune femme au mollet, à l'endroit exact où se trouvait la blessure que lui avait infligée le cerbère dans le monde réel.

La douleur lui fit immédiatement perdre sa concentration et la tornade se dissipa. Sans qu'elle puisse faire quoi que ce soit, Syara s'écrasa lourdement au sol. De cette hauteur, la chute aurait dû être mortelle. Pourtant, à part sa jambe qui la faisait souffrir, la beast s'en sortit sans aucune autre blessure.

Voyant que son double approchait, elle se remit tant bien que mal debout et tenta de s'enfuir en boitant. Mais, malgré tous ses efforts pour lui échapper, son reflet avait décidé d'en finir. Des ronces percèrent le sol parfaitement lisse et s'enroulèrent rapidement autour de ses jambes puis de ses poignets. Les épines s'enfoncèrent profondément dans sa chair et la forcèrent à lâcher son instrument.

Sans se presser, le double contourna sa proie pour lui faire face et, avec un sourire triomphant, frotta son archet sur la joue de sa victime. La douleur de ce crin semblable à des lames de rasoir sur sa peau délicate lui arracha un cri de douleur qui fit jubiler le reflet. Il prit ensuite de l'élan, les yeux vissés sur sa gorge. La jeune femme comprit alors ses intentions de lui trancher la jugulaire et sentit que tout était perdu. Elle espérait juste que ce rêve se termine et qu'il n'ait aucune persécution à son réveil... Si elle se réveillait.

La chose s'apprêtait à donner le coup de grâce, cependant quelque chose la retint. Un homme, humain d'après ce que voyait Syara, était apparu derrière son double et lui retenait le bras.

— Ça suffit, souffla-t-il sereinement.

Le reflet le regarda d'un air interrogateur. Ses coups et sa force paraissaient si puissants, comment cette personne faisait-elle pour le retenir aussi aisément ?

— Retourne dans l'ombre, tu ne l'auras pas cette fois-ci.

Petit à petit, la chose se désintégra en un brouillard noir qui se dissipa après quelques secondes. Une fois seul avec Syara, l'homme ramassa le violon et l'archet et se planta devant la beast.

— Bonjour Syara. Il faut qu'on parle tous les deux.