Chapitre 120 : La fée et le breuvage magique

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 La nuit était tombée sur Léfarène et, pour faire plaisir à Elyazra, le groupe s'était arrêté à un bar une fois sorti du hall des musiciens. En attendant d'être servie, Syara repensait à ce qui s'était passé dans la salle d'entraînement. Elle se serait attendue à ce que Shay utilise ses flammes, ses puissants membres de dragon ou une toute autre magie, mais il n'en était rien. Il s'était contenté de pousser un puissant rugissement et les deux alchimistes s'étaient totalement immobilisés. Il avait ensuite repris sa forme humaine et avait posé ses mains sur leur front.

D'abord figés comme des statues, les commanditaires s'étaient mis, l'instant d'après, à hurler à plein poumons. Leur cri de terreur résonnait dans toute la salle et la beast était rassurée de savoir qu'elle était totalement insonorisée et coupée du reste du hall. Finalement, tout deux s'étaient écroulés alors que la peur avait été telle qu'ils s'étaient faits dessus. Cependant, une question subsistait.

— Qu'est-ce que tu leur as fait ? demanda la violoniste.

— Je leur ai donné la chance de vivre mille vies. Car après tout, ce qu'ils voulaient, c'était vivre éternellement. Ils sont donc nés mille fois en tant que fée, ont grandi mille fois parmi les fées, puis ils ont été capturés mille fois par des alchimistes et ont servi mille fois d'ingrédients pour créer des potions d'immortalité. Vous avez cru qu'ils criaient sans s'arrêter, mais en réalité, ils ne l'ont fait qu'à chaque fois qu'ils sont morts.

— Et du coup, ça a duré combien de temps pour eux ? questionna Elyazra.

— Je me suis basé sur l'âge approximatif de Phi pour déterminer quand l'événement fâcheux surviendrait. Elle est encore très jeune, à peine quinze ans je dirai, donc cela fait...

— Quinze mille ans, calcula Guard.

— J'aurai très bien pu me focaliser sur le moment de la mort et faire en sorte qu'ils aient l'impression de la revivre encore et encore pendant plusieurs années, mais je voulais aussi qu'ils apprennent que les fées sont des créatures sensibles et intelligentes.

Tandis qu'ils parlaient de ce sujet comme si cette conversation était banale, le serveur vint à eux et déposa sur leur table les choppes commandées. Toujours invisible, mais tout aussi curieuse que lorsqu'elle ne l'était pas, Phi descendit de son perchoir et alla voir ce que contenait l'un de ces grands verres. L'odeur était étrange, mais la mousse qui se formait et le reflet ambré du liquide étaient magnifiques.

Absorbée par le tourbillon des bulles, elle ne vit que trop tard la demi-dragonne se saisir de sa boisson et la porter à ses lèvres. Étant penchée au-dessus, la petite créature fut emportée par le mouvement et tomba dans le breuvage avant de trouver quelque chose à quoi s'accrocher.

— Ely, attend ! l'interrompit l'elfe alors qu'elle s'apprêtait à prendre sa première gorgée.

— Quoi ? J'ai attendu ça toute la journée. Tu ne vas pas m'empêcher de me désaltérer tout de même !

Sans répondre, Rael se saisit de sa chope et plongea sa main dans la bière.

— Mais qu'est ce que tu fais ? paniqua-t-elle en voyant le précieux liquide déborder et se répandre sur la table.

Le mage d'air sortit sa main et l'ouvrit devant elle. De la mousse était agglutinée sur quelque chose d'invisible et formait vaguement une petite silhouette humaine. Soudain, la chose invisible apparut et révéla la petite fée, couverte de la tête au pied de bière.

Phi battit énergiquement des ailes pour se les sécher et, en plein milieu de cet exercice, fut prise de hoquet et disparut de nouveau.

— Mais c'est pas vrai ! C'est une catastrophe ambulante celle-là ! râla la demi-dragonne en reprenant sa chope à moitié vide.

Un autre hoquet la fit réapparaître et Syara s'empressa de faire tout ce qu'elle pouvait pour la cacher des yeux de tous. Phi ne comprenait pas ce qui se passait et n'avait même pas conscience d'être visible. En perdant l'équilibre, la surprise lui avait fait ouvrir la bouche, si bien qu'elle avait bu malgré elle quelques gorgées de ce breuvage. Une chose était sûre, elle n'aimait pas ça. Le goût était amer et les bulles lui brûlaient la gorge. En plus, elle avait des picotements dans tout le corps et l'impression que sa vision ne suivait plus ses mouvements, comme s'il y avait un décalage d'à peine une seconde.

Pourtant, elle se sentait bien et avait l'irrésistible envie d'en découvrir plus sur la ville de ces grandes personnes. Après un autre hoquet, Phi battit un peu des ailes et, même si la substance les avaient un peu collées, cela ne l'empêcha pas de voler. Satisfaite, elle commença à avancer et hoqueta une nouvelle fois juste sous le nez de Syara.

La beast, d'abord étonnée, la vit s'éloigner à la vue de tous, puis commença à paniquer.

— Mais... Phi, reviens ! hurla-t-elle en se mettant à la poursuivre.

— Au moins, on sait que les fées ne tiennent pas l'alcool, rit Telak.

— Venez m'aider à la rattraper au lieu de vous marrer ! lança la beast par-dessus son épaule.

La fée se sentait incroyablement légère et rapide. Elle avait l'impression que celle qui était maladroite n'existait plus et qu'elle pouvait être aussi agile qu'elle le voulait. Bien sûr, en réalité, elle était une véritable catastrophe ambulante. Elle ne volait pas droit, se heurtait à chaque passant qu'elle croisait et passait de visible à invisible au moindre hoquet. La seule raison qui faisait que Syara n'arrivait pas à l'attraper était le monde qui se trouvait sur la place. La violoniste avait du mal à la suivre et à anticiper l'endroit où la petite créature allait réapparaître.

Les passants commençaient à se retourner vers la fée et s'étonnaient de voir une telle créature. Shay avait pourtant insisté sur le fait que personne ne devait la voir ! Plus les secondes avançaient, plus la beast perdait du terrain et elle avait beau l'appeler, Phi ne se retournait pas.

Soudain, la fée se sentit prise dans un étrange courant d'air qui la stoppa. Une petite tornade s'était formée autour d'elle et l'empêchait de bouger. Syara arriva enfin à son niveau et se saisit d'elle juste après un énième hoquet.

— Alors, qu'est-ce que tu penses de mon illusion ? questionna Shay en s'approchant avec un large sourire. Il me reste encore du travail, mais on dirait presque une vraie !

— Elle ressemble tellement à l'une de mes amies, répondit-elle en entrant dans son jeu. À un moment, j'ai presque cru que c'était elle que tu avais rapetissée.

— C'est pour ça que tu l'as poursuivie ? s'esclaffa le dragon. Je ne pensais pas que tu étais si crédule. Une fée, et puis quoi encore ?

Le mensonge était plus que bancal, mais il suffit amplement pour que la grande majorité des passants détournent leur regard et retournent à leurs occupations. La catastrophe avait été évitée de justesse et tout deux retournèrent à leur place comme si de rien était. Une fois assise, Syara jeta un rapide coup d'œil à la poche intérieur où elle avait glissé Phi. Celle-ci était toujours visible, mais dormait à présent à poing fermé. Les fées ne tenaient donc pas l'alcool et subissaient tous les effets en accéléré. Si elle avait aussi un lendemain difficile, Syara se promit de lui en faire baver et de se venger de la peur qu'elle lui avait faite.

Le violon de cristal: les partitions perduesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant