Le violon de cristal: les partitions perdues

Chapitre 174 : Évacuation des lieux

 Si convaincre la reine et les conseillers du royaume des fées avait été une tâche rapide, mettre en œuvre le plan qu'ils avaient en tête était une toute autre histoire. Comme Phindéréllia l'avait ordonnée, tous les habitants avaient été réunis sur une grande place sans vraiment savoir ce qui les attendaient. Pour expliquer ce qu'elle attendait d'eux, la dirigeante s'était déplacée et avait parlé elle-même à son peuple depuis un balcon. Pour ne pas trop attirer l'attention, Fos et Shay étaient restés cachés, en retrait derrière elle, pendant la première partie de son discours. Beaucoup de fées étaient déjà au fait de leur présence, mais au moins, ne pas voir les étrangers évitait de les déconcentrer.

Ainsi, le dragon et le mage ne firent leur entrée qu'au moment où la reine leur fit signe pour présenter ceux qui allaient accomplir ce plan ambitieux et risqué qui était de briser le cristal en deux. Lorsque le peuple vit qu'ils n'étaient pas des leurs, des voix commencèrent à s'élever. Comme l'avait dit et répété Phindéréllia, les fées ne faisaient pas confiance aux humains.

Pourtant, ce fut un geste de Fos qui les fit tous taire lorsque les protestations devinrent presque incontrôlables. Le violoniste s'était alors approché de la rambarde et, sans dire un mot, avait enlevé tous les vêtements qui recouvraient le haut de son corps, exhibant ainsi à la vue de tous les marques dorées qui parcouraient son corps.

Visiblement, les pouvoirs de la reine étaient reconnus par tous car le calme revint presque instantanément. Leur souveraine en profita donc pour expliquer les termes du pacte qu'ils avaient passé et finit donc son discours en demandant à son peuple de quitter la ville pour que leur forêt puisse renaître sans qu'ils ne soient mis en danger.

Le mage pensait alors que les fées allaient s'envoler et s'éloigner pour le laisser accomplir son œuvre. Il fut donc étonné de voir la foule se disperser dans le calme et retourner chez eux. La grande majorité d'entre eux n'était pas prête à partir sans rien et était retournée dans leurs maisons pour préparer leurs affaires.

Là où le mage et le dragon pensaient achever cette mission dans la journée, ils durent attendre, impuissants, pendant deux jours que la ville soit totalement vidée. Enfin, un troisième jour servit à la garde pour fouiller toutes les habitations en quêtes de personnes récalcitrantes qui voudraient rester malgré le danger. Ils avaient d'ailleurs bien fait d'être vigilants puisqu'une dizaine de fées n'avaient toujours pas quitté leur domicile.

Enfin, au quatrième jour, Fos et Shay purent passer à l'action. Pour être en pleine possession de leurs moyens, leur taille originelle leur avait été rendue. Ce processus avait été quelque peu douloureux et perturbant, mais au moins, ils pouvaient mieux estimer la puissance qu'ils allaient devoir mettre dans leurs sorts. Une fois redevenus normaux, les deux acolytes quittèrent le camp provisoire des fées et se mirent en route vers le cristal.

— Outch ! se plaignit Fos en s'étirant, faisant ainsi craquer sa colonne vertébrale.

— J'aurai très bien pu nous rendre notre taille normale avec une simple potion, commenta Shay.

— Mais bien sûr ! Comme ça, en plus d'avoir mal partout, j'aurai eu la nausée. Rien que de penser à tes mixtures immondes me donne des haut-le-cœur.

— Mes mixtures immondes, comme tu les appelles, t'ont sauvé la vie plus d'une fois.

— Peut-être, mais rien qu'en me rappelant leur goût et leur odeur, je me dis que j'aurais préféré y passer plutôt que les boire.

— Espèce d'ingrat !

— Encore, si une ou deux étaient imbuvables, je n'aurais rien dit, mais dans ton cas, elles sont toutes immondes ! renchérit le mage. Enfin bref, on ne va pas se disputer maintenant, nous avons une population de fée à sauver de la misère.

Était-ce son instinct de survie ou bien du pur hasard ? En tout cas, Fos avait coupé court à cette discussion juste avant de se prendre un poing draconique dans la figure. Un seul mot de plus et le cristal aurait été brisé par la force de Shay qui se serait servi de la tête de son acolyte comme marteau.

— Et donc, quel est le plan ? Tu comptes utiliser la technique dont tu m'as fait part la dernière fois ? La symphonie de... De quoi déjà ?

— De l'âme. La symphonie de l'âme. Et non, je ne vais pas l'utiliser. Je veux briser ce cristal en deux, pas faire de cette région un cratère qui ferait redescendre ces terres en dessous du niveau de la mer.

— Tu ne te surestimes pas un peu trop là ? rit le dragon.

— Le détroit d'Ormane, tu connais ?

— Tu parles de la chaîne de montagnes qui séparait deux mers et qui a soudainement disparu à cause d'un gigantesque tremblement de...

Sans arriver à finir sa phrase, le dragon se stoppa net dans sa marche et regarda, ébahi, son compagnon qui arborait un sourire en coin.

— Si tu veux tout savoir, je n'ai pas fait exprès et j'ai failli y passer. Enfin bref, je te raconterai ça plus tard. Pour l'instant, nous avons un cristal à briser, trancha le mage alors qu'ils arrivaient en vu de leur objectif. Le plan est plutôt simple. Tu élèves une barrière tout autour du cristal en te tenant à l'extérieur. Moi, je serai à l'intérieur et je m'occuperai de le briser.

— Pourquoi être à l'intérieur ? Tu veux y passer ?

— Je veux minimiser les risques pour la forêt et les fées, rectifia-t-il. Si je me trouve à l'extérieur, tu devras utiliser une partie de ta concentration pour laisser passer mes sorts au travers de ta barrière. Ce que je veux, c'est que tu utilises toute la puissance qui est en toi pour créer la barrière la plus résistante que tu n'aies jamais faite.

— Mais si ça explose, tu vas y passer ! insista le dragon.

— Ne t'en fais pas, je sais me protéger moi-même. Si j'ai survécu à la désintégration d'une chaîne de montagnes, je peux survivre à une petite détonation. Et puis, si je meurs quand même, tu seras enfin débarrassé de moi. Ça devrait te faire plaisir !

— Si tu veux me faire plaisir, alors laisse-moi t'étriper de mes propres mains.

— Promis, je te laisserai essayé une fois qu'on en aura fini avec ça. En attendant, on a du travail !

Devant le cristal, Fos invoqua son violon et se mit en position, puis attendit que Shay soit prêt à son tour. Après deux jours de voyage dans un désert de cendres et quatre jours d'attente chez les fées, l'opération qu'ils attendaient tant allait enfin avoir lieu.