Chapitre 148 : Pour son peuple

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 Alors que l'immense plaque de la paroi s'abattait sur le quartier en flamme, Phi, les yeux levés vers la catastrophe imminente, avait l'impression que le temps s'était suspendu. Ses pensées fusaient dans sa tête. Au final, tout ce qu'elle avait fait s'était avéré inutile. Elle n'avait fait que réunir tout le monde au même endroit pour qu'ils se fassent écraser ensemble. Par son geste irréfléchi, elle avait aussi condamné Telak et Rael. Pourquoi avait-il fallu qu'elle oublie la raison de sa fugue ? Pourquoi était-elle revenue ? Sans ce tournoi, rien de tout ça ne serait arrivé. Sans elle, tous ces gens ne seraient pas sur le point de mourir !

Alors qu'elle baissait les yeux sur toutes les personnes réunis autour d'elle, son regard se posa sur une femme assise non loin. Celle-ci observait, impuissante, la chute de la plaque. Dans ses bras, elle tenait un enfant dont elle maintenait la tête contre son cou pour qu'il ne voie pas le désastre arriver.

Si jeune... Tout ceci était trop injuste et elle ne pouvait rien y faire... Non ! Elle se l'était promis. Ses pouvoirs devaient aider ceux qui en étaient dépourvus. Personne ne devait souffrir si elle avait son mot à dire ! Surtout pas... Surtout pas...

— Pas mon peuple ! hurla-t-elle à plein poumon.

Le temps reprit sa course normale alors que la princesse relevait les yeux au ciel. Elle ne savait pas pourquoi, mais elle avait l'impression que ces pouvoirs s'étaient démultipliés au point de pouvoir bouger des montagnes avec. Pas des collines qui lui paraissaient grandes, non, de vraies montagnes comme celle sur laquelle elle avait été faite prisonnière.

— Personne n'a le droit de toucher à mon peuple ! hurla-t-elle de nouveau comme si ce qui leur tombait dessus était un être vivant.

Le dôme qu'elle avait créé pour abriter et soigner les réfugiés devint plus opaque et infiniment plus lumineux. Il se mit aussi à grandir à une vitesse prodigieuse et recouvrit presque instantanément tout le quartier qui devait être touché, chassant à son passage toute trace de flammes.

La paroi percuta la protection un instant plus tard et se fracassa en plusieurs gros morceaux. Phi avait l'impression que le dôme était une partie intégrante d'elle et elle ressentait tout ce qui s'y passait comme s'il s'agissait de sa propre peau. Elle sentait que certains débris glissaient en direction d'un autre quartier et modifia immédiatement la forme du sort pour les diriger vers un endroit dont elle savait que personne ne serait touché.

Lorsqu'ils s'écrasèrent, les blocs firent trembler la terre. Les secousses ne durèrent que quelques secondes, puis cessèrent. Un long silence s'abattit alors. Plus personne ne criait, les maisons en proie aux flammes ne crépitaient plus, les craquements du mur d'enceinte qui ne cessaient d'effrayer les habitants s'étaient interrompus.

Soudain, une personne brisa ce silence et cria. Non pas de terreur, mais de joie. Il fut immédiatement imité par tous ceux qui se trouvaient sur la place. Tous fêtaient le fait de s'en être sorti. Tous acclamaient la princesse et l'appelaient la sauveuse.

Silencieuse, Phi les regardait un à un. Elle n'avait pas l'habitude d'être adulée ainsi et ne savait pas vraiment comment réagir.

— Princesse ? appela une fée à côté d'elle. Tout va bien ? Votre peau... Et vos ailes...

Étonnée par cette remarque, Phi scruta ses bras et vit qu'il émanait d'elle une légère lumière dorée. Quant à ses ailes, celles-ci habituellement transparentes étaient à présent de toutes les couleurs. Elles ne cessaient d'ailleurs de se mouvoir dessus et formaient une magnifique peinture animée.

— Je vais vous emmener en sécurité, souffla-t-elle sereinement. Mais avant, personne ne doit être oublié.

D'un geste de la main, Phindéréllia fit apparaître toutes les personnes qui étaient encore coincées chez elles ainsi que les deux mages qui l'avaient assistée. Le dôme rétrécit pour reprendre une taille plus raisonnable et commença à soigner ces nouveaux patients avec bien plus d'efficacité qu'auparavant.

La protection commença alors à s'élever dans le ciel et créa un plancher lumineux pour emporter tout le monde. Le vaisseau se rendit jusqu'à l'arène flottante et, une fois posé dessus, disparut pour libérer tout le monde.

Dès qu'il fut dissipé, la princesse vit sa peau et ses ailes reprendre leurs couleurs habituelles. Son impression de pouvoir déplacer des montagnes avait disparu en même temps et elle se sentait totalement vidée de toute son énergie, à tel point qu'elle ne savait pas si ses jambes allaient la maintenir debout encore bien longtemps.

Cependant, avant qu'elle ne s'effondre, Syara courut vers elle et la prit dans ses bras, l'étreignant de toutes ses forces.

— J'étais si inquiète ! Heureusement tu n'as rien !

Phi ouvrit la bouche pour parler, mais aucun son n'en sortit. Elle était même trop épuisée pour dire quoi que ce soit. Elle ne força donc pas et se contenta de passer ses bras autour de Syara pour l'étreindre elle aussi.

— Elle nous a tous sauvés, annonça Telak. C'est elle qui a déployé ce bouclier protecteur.

— Alors c'était toi ?

Pour toute réponse, la princesse hocha légèrement la tête de haut en bas. Elle ne pouvait pas faire bien plus de toute façon. Syara relâcha alors son emprise sur elle et se dirigea vers la tribune de la famille royale.

— Une empotée bonne à rien hein ? dit-elle haut et fort en fixant le roi. Osez me répéter la même chose maintenant ! Osez la traiter d'incapable alors que vous n'avez même pas réagi ! Vous avez créé ce tournoi pour avoir un héritier ou une héritière digne de ce nom pour vous succéder, eh bien je crois que cette personne existe déjà. De par ses actes, la princesse Phindéréllia a gagné le tournoi et donc le droit de choisir elle-même celui avec qui elle voudra être. Alors à présent, cher roi, devant tous ces témoins, déclarez le vainqueur de ce tournoi !

Alors qu'elle attendait la réponse en fixant le père de Phi, Shay se plaça à côté d'elle et lui saisit le bras avec une certaine force pour attirer son attention.

— Calme-toi, lui chuchota-t-il.

— Mais je suis très calme, répondit-elle avec une certaine incompréhension.

En suivant le regard du dragon, la beast tomba sur le violon qu'elle tenait toujours dans ses mains. Il était d'un bleu cristallin, mais les runes et les arabesques gravées dessus avaient pris la même teinte écarlate que lorsque sa part d'ombre prenait le dessus.

— Syara, je crois que nous avons un problème, annonça Fos.

La violoniste reporta son attention sur le roi. Les poings serrés et le visage rouge, il donnait l'impression de contenir une rage immense.

— Jamais ! explosa-t-il. Jamais elle ne montra sur le trône ! Jamais elle ne choisira elle-même son compagnon, vous m'entendez ! Jamais !

Alors que l'incompréhension et la peur se lisaient sur le visage de tout le monde, le roi sauta dans l'arène. Des arcs électriques se mirent à crépiter dans ses mains alors qu'il avançait inexorablement vers Phi.

— Il est sous l'emprise de la chose, expliqua le premier porteur du violon. Elle a dû s'attacher à la partie de mon âme que j'ai insufflée dans la partition et est en train de prendre le contrôle sur lui.

Tout était clair à présent. Voilà pourquoi il n'arrivait pas à communiquer avec cette partie de son âme. Une chose était sûre, il fallait l'arrêter. Parti comme il était, il devait avoir dans l'idée de tuer sa propre fille.

Le violon de cristal: les partitions perduesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant