Totalement déstabilisée par ce qui venait de lui arriver, Syara n'en gardait, malgré tout, aucun souvenir. Elle fut d'autant plus étonnée lorsqu'elle vit la bête qui gisait près d'elle.
— Il est mort ?
— Oui.
— Mais comment ? C'est toi qui l'as vaincu ?
— Non, et il vaut mieux que tu ignores ce qui s'est passé pour l'instant. Je te raconterai tout plus tard.
Si la jeune femme était d'habitude obstinée et voulait absolument tout savoir, elle se contenta ici de hocher faiblement la tête et de poser à nouveau son regard sur le charnier.
— On ne peut pas les laisser comme ça, décida-t-elle.
— Tu as raison. Écarte-toi et repose-toi un peu pendant que je m'en occupe.
La beast se détacha lentement de son mentor et allait pour s'éloigner un peu. Cependant, le manque d'énergie et la blessure à la jambe l'empêchèrent de faire le moindre pas et manquèrent presque de la faire tomber. N'ayant aucun souvenir de la bataille, la violoniste fondit en larmes. Elle-même ne savait pas réellement pourquoi. Sa blessure, à présent qu'elle s'en était aperçue, lui faisait mal, mais elle n'était pas la raison de cet état. Sa souffrance était bien plus profonde que ça.
Elle se sentait faible, pitoyable, nulle et s'accablait de ne pas être arrivé à temps. Telak, voyant la détresse de son ami, la prit dans ses bras et l'emmena à l'écart.
— Tu as été blessé ? Demanda-t-elle en apercevant son épaule brûlée.
— Ce n'est qu'une blessure superficielle, ne t'en fait pas.
Le démon la déposa avec douceur sur un rocher plat et invoqua son instrument. Comme il l'avait fait pour les bandits morts, le bassiste joua une mélodie grave et lente. Alors qu'elle voyait les corps des villageois qui s'enfouissaient peu à peu dans la terre, un flot incessant de larmes s'écoula sur les joues de Syara, inconsolable.
— Partons d'ici, décida-t-elle une fois les cadavres enterrés.
— Occupons-nous d'abord de ta jambe, dit Telak en sortant un nécessaire de premier secours de son sac.
Même si le cerbère ne l'avait touché qu'une fois avant de mourir, l'entaille faite par une telle créature n'était pas belle à voir. Le démon nettoya précautionneusement la plaie, y appliqua un onguent et maintint le tout avec une attelle.
Satisfait de son travail, Telak aida son amie à se relever et la soutint jusqu'à ce qu'ils arrivent à l'endroit où ils avaient laissés leurs chevaux.
— Partons d'ici, souffla la jeune femme.
— Non. On reste ici et tu te reposes, décidé le mentor.
— Mais il faut...
— Quoi ? Retourner au village pour annoncer que tout le monde est mort ? Et après quoi ? Tu as eu un mal fou à remonter jusqu'ici et je suis sûr que tu n'as pas assez d'énergie pour invoquer ton violon. Tu ne tiendras pas en selle dans cet état-là alors défait ta couverture et dors.
Syara ne savait pas ce qui lui arrivait, mais elle n'avait pas la force de répliquer quoi que ce soit et l'impression de n'être qu'une enfant qui venait de se faire réprimander. N'ayant même pas la force de manger quoi que ce soit, la beast s'enroula dans sa couverture et s'endormit immédiatement.
Lorsqu'elle se réveilla, la teinte des nuages indiquait qu'il était déjà tard. Telak, lui, scrutait l'horizon à l'affût de la moindre menace. Il n'avait d'ailleurs pas chaumé pendant qu'elle dormait. Un étrange scarabée géant de la taille des chevaux était empalé sur plusieurs piques en pierre.
— Nous devrions nous remettre en route, dit-il en revenant près d'elle. Si aucune créature ne se trouvait dans cette partie là des plaines, c'était à cause du cerbère. Même s'ils bougent rarement, leur territoire s'étend sur plusieurs centaines de kilomètres et les autres bêtes n'osent pas le traverser de peur de tomber sur lui. Mais maintenant qu'il est mort, elles vont sans doute revenir.
Après son explication, le démon tendit à l'apprentie mage un peu de nourriture qu'elle avala avec peu d'appétit puis l'aida à monter sur sa selle. À cause de sa jambe blessée, Syara ne pouvait pas pousser sa monture autant qu'à l'allée. Ils ne croisèrent pas non plus les nomades qui devaient avoir levé le camp pour partir au sud.
En cinq jours de voyage pour retourner au village, les deux mages virent, à plusieurs reprises, diverses bêtes qui revenaient peu à peu sur ses terres. Fort heureusement, la plupart étaient herbivore et les autres n'osèrent pas les attaquer.
Cependant, plus les mages avançaient, plus l'état psychologique de la jeune femme se dégradait. Elle arborait un visage de plus en plus triste, ses nuits étaient agités à cause de cauchemars et elle n'arrivait pas à manger.
Totalement excédé par le voyage de retour, la beast n'arrivait même plus à relever la tête lorsqu'elle arriva enfin au village. Le grand-père les attendait à l'entrée du village et il n'était pas difficile, en voyant son visage, qu'il était lui aussi à bout de force, mais aussi très inquiets de les voir revenir seuls.
— Alors ? Vous les avez retrouvés ? demanda-t-il.
Cette question eut sur la beast un effet dévastateur. Pendant les cinq jours de voyage, elle se demandait comment annoncer la nouvelle, comment lui dire que les autres villageois étaient morts, comment lui faire comprendre que tous les enfants étaient, à présent, orphelins. Ses questions avaient tourné sans interruption dans sa tête. Aucune réponse viable n'était sortie, si bien qu'elle craignait bien plus cette rencontre fatidique que le cerbère lui-même.
Voyant son amie une nouvelle fois en détresse, Telak prit les devants et demanda au grand-père d'aller parler chez lui. L'homme, de plus en plus inquiet, accepta et les conduisit jusqu'à sa maison. Après être descendue de cheval, Syara voulut entrer à son tour, mais son mentor lui barrait le passage.
— Il vaut mieux que tu restes à l'extérieur. Je ne veux pas que tu revives ça une deuxième fois.
La jeune femme voulait protester. Elle voulait être auprès de cette personne qui avait été si gentille avec eux. Pourtant, elle ne pouvait qu'être d'accord avec le démon. La Beast resta donc sur le pas de la porte, accroupie contre un mur, la tête dans les mains.
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Le violon de cristal: les partitions perdues
FantasyDans un monde où musique est synonyme de magie, où presque toute forme de technologie à disparue, où les humains ne sont plus les seuls êtres pensants de la planète depuis bien longtemps et où la terre, ravagée par les guerres, se remet peu à peu, v...