Chapitre 142 : La transe curative

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 Un long et pesant silence s'était installé dans l'arène qui flottait au-dessus de la ville des fées. Dans les tribunes, personne n'osait parler ou même bouger, comme-ci le temps lui-même s'était arrêté. Debout près de son adversaire allongé face contre terre, Syara regardait la brûlure fumante qu'il s'était lui-même infligé.

— Est-il ? osa demander l'un des spectateurs, sans pour autant réussir à finir sa question.

Son intervention sembla rompre le charme sur la beast qui, lentement, s'approcha de la tête de Yamaré. Elle se pencha et posa deux doigts sur son cou pour chercher son pouls. Après quelques instants d'hésitation, la violoniste souffla, soulagée. Même s'il était dans un sale état, il n'était pas mort. S'il se faisait soigner tout de suite, il pouvait s'en sortir.

Vu que personne dans l'assistance ne bougeait pour lui venir en aide, la jeune femme prit les choses en main et invoqua son violon. Elle ne connaissait pas très bien la magie des fées et ne savait pas s'ils pouvaient l'utiliser pour soigner, mais elle, le pouvait.

— L'utilisation de votre instrument est interdit, prévint l'arbitre.

— Il est inconscient, j'ai déjà gagné le combat ! rétorqua-t-elle de manière agressive. Je ne compte pas l'achever, mais le soigner, alors à moins que vous vouliez me disqualifier au point qu'il y ait un mort, laissez-moi faire !

Le roi, dans le même état que le reste des spectateurs, sortit un instant de sa léthargie et hocha la tête pour lui donner la permission de continuer ce qu'elle voulait faire. De toute façon, qu'il ait donné son accord ou non n'aurait rien changé, elle serait intervenue quoi qu'il arrive.

Alors que les premières notes se répandaient dans toute l'arène, Syara repensa à Sae, la petite harpie qu'elle avait soignée après qu'elle se soit faite brûler par le feu noir d'Elyazra. La mélodie qu'elle jouait à cet instant était quasiment identique. Douce, calme et apaisante. Laissant son esprit divaguer au gré des notes, la violoniste ferma les yeux et s'imagina dans une forêt paisible éclairée par une lumière semblable à celle de la sphère qui éclairait le royaume des fées.

À l'intérieur, alors que la faune se rapprochait d'elle sans aucune crainte, Phi et Sae apparurent entre deux arbres. Dans ce rêve, toute deux faisaient la même taille et lui souriaient en dansant l'une avec l'autre au rythme de la mélodie.

Voir ces deux jeunes filles innocentes remplies de joie s'amuser au milieu d'une ronde d'animaux était sans aucun doute pour la beast la vision parfaite de ce qu'était la sérénité. Quitter cette transe voulait dire quitter ce rêve, et même si elle n'en avait aucune envie, voir le visage radieux de la fée la persuada de s'arrêter là. Si elle continuait d'utiliser ainsi son énergie, elle serait épuisée lors de la finale et si elle perdait, jamais Phi ne serait heureuse comme dans cette vision.

La violoniste acheva donc sa mélodie, presque à contrecœur, et revint à la réalité. À ses pieds, Yamaré était toujours étendu au sol, mais la peau de son dos, cloquée et brûlée quelques minutes auparavant, avait retrouvé un aspect normal. Avant de lancer son sort de soin, la beast avait aussi remarqué que la fine membrane de ses ailes avait noircie à l'endroit où elles étaient rattachées à son dos. Heureusement, ici aussi, toute trace de brûlure avait disparu.

Mais le fait que son adversaire ait été soigné n'avait pas été le seul effet de son sort. Sur toute l'arène, le terrain de terre battue avait laissé sa place à une épaisse couche d'herbe ou fleurissait des centaines de fleurs.

Jamais son sort de soin n'avait eu un tel effet. Était-ce grâce à sa transe profonde ? Sa vision ? Le fait que la chose qui habitait le violon était emprisonnée ? Ou tout simplement ses pouvoirs qui se développaient ? En jetant un rapide d'œil en direction de Shay pour en apprendre plus, la jeune femme vit que le dragon aussi était tout aussi étonné qu'elle.

Un mouvement à ses pieds la fit cependant revenir sur son patient. Yamaré avait repris connaissance et s'était retourné. Essayant de se relever, il s'appuya sur les coudes, mais avant de pouvoir continuer, quelque chose passa à vive allure près de la beast et le percuta, ou plutôt l'enlaça.

Voir son ami d'enfance se rétablir avait été une telle joie pour Phi qu'elle avait quitté sa place pour le rejoindre. Sur lui et les bras autour de son torse, la princesse pleurait sur son épaule.

— Espèce d'imbécile ! Pourquoi est-ce que tu as fait ça ? Dit-elle en enfouissant son visage dans son cou.

Encore un peu désorienté à cause du sort et du choc qu'il avait dû encaisser en réceptionnant Phi, Yamaré prit quelque temps pour remettre ses idées en place, puis leva une main pour caresser affectueusement les cheveux de son amie.

— Je pensais avoir assez de force pour retourner ma main au dernier moment. Lorsque je me suis rendu compte que c'était impossible, il était déjà trop tard.

— Ne recommence plus jamais, tu m'entends ?

— Pour toi, j'endurerai ça encore mille fois s'il le faut, mais pour le l'instant, ça n'est pas sur moi qu'il faut compter, dit-il en regardant Syara dans les yeux, le plus sérieusement du monde. Je compte sur toi.

Pour Syara, les réjouissances avaient laissé leur place à la concentration. Il ne fallait pas qu'elle oublie son objectif si elle voulait que la Phi qui dansait dans son rêve devienne une réalité. Alors qu'une lumière bleutée peinait à se frayer un chemin aux travers de l'herbe à l'endroit où se trouvait la rune de téléportation, signe qu'il fallait qu'elle y aille, Syara jeta un dernier regard en direction du roi.

Ce dernier jetait un regard sévère et désapprobateur en direction de sa fille. Il n'avait pas dû aimer que Phi quitte sa place auprès de lui pour se jeter dans les bras de son ami, et ce devant une foule entière. Il fallait absolument qu'elle gagne son dernier combat, sinon, elle pressentait que la jeune fée allait recevoir une sévère correction.

Mais pour l'heure, Syara devait laisser sa place pour que le dernier combat de la demi-finale ait lieu. Elle retourna donc sur la rune et disparut de l'arène dans un flash lumineux. Laissant la princesse aider son ami à rejoindre les gradins.

Le violon de cristal: les partitions perduesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant