Chapitre 125 : la forêt de l'oubli

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 Immonde, c'était ainsi que Shay avait qualifié la potion protégeant de la malédiction d'oublie, mais pour Syara et tous ceux qui avaient été obligés de la boire, ce terme était encore bien loin de la réalité. La mixture avait la couleur de la vase, l'odeur de la vase, la texture de la vase mais même si elle n'en avait jamais goutté, la beast aurait préféré mille fois prendre de la vase plutôt que cette chose.

Étant au fait que sa potion était imbuvable, le dragon y avait rajouté un ingrédient qui agissait immédiatement sur l'organisme et empêchait tout rejet. Ainsi, le groupe toussait, faisait une horrible grimace, tirait au cœur, mais n'arrivait pas à vomir. Il leur fallut un bon quart d'heure et toute leur réserve d'eau pour aller un peu mieux. Ils avaient toujours la bouche pâteuse et un arrière-goût désagréable, mais le mal de ventre qu'elle avait causé s'était assez calmé pour qu'ils puissent avancer.

— Plus jamais je bois cette merde, déclara Syara.

— Au moins, on ne pourra pas dire qu'on ne se donne pas du mal pour que Phi puisse rentrer chez elle, rit Rael malgré la douleur qu'il ressentait dans ses intestins.

Dans l'ensemble, ce qu'il venait de dire était vrai, mais certains pensaient qu'ils auraient très bien pu l'escorter jusqu'à l'orée de la forêt et la laisser continuer le chemin seule. C'est d'ailleurs ce qu'ils auraient fait s'il n'y avait pas eu cette histoire de partitions perdues. Shay avait révélé que lui et Fos avaient confié l'un des fragments à ce peuple.

— Vous vous en êtes remis, on peut y aller ? questionna le dragon.

— Oui, c'est bon, répondit Syara, même si elle avait bien plus envie de lui rétorquer de boire lui-même sa potion pour voir s'il aurait été prêt.

Comprenant que boire cette potion était un supplice, Phi s'approcha de la beast et posa ses petites mains sur ses joues avec une expression désolée. Ce geste n'était rien, mais cela rappela à la violoniste que la fée avait traversé des épreuves bien plus terrible et la fit relativiser.

— Allons-y, ça ne devrait pas nous prendre trop de temps avant de rejoindre leur ville.

À ces mots, Shay avança vers la forêt. Le groupe lui emboîta le pas et pénétra à l'intérieur en se frayant un chemin dans les hautes herbes. Le bois était à l'image de la lisière, non entretenu et difficile d'accès. À cela s'ajoutait le sort d'oubli qui, malgré la potion, essayait tout de même de pénétrer dans l'esprit des intrus. Syara sentait qu'il tentait d'entrer dans sa tête, mais se heurtait aux protections que le breuvage avait levées. Elyazra et Shay ne semblaient pas affectés par ce phénomène.

Phi, elle, contrairement à son rêve où elle volait devant eux, restait assise sur l'épaule de la beast et observait les alentours en quête du moindre signe d'un de ses semblables.

— Nous y sommes presque, déclara Shay au bout d'une heure.

— Et qu'est-ce qui te fait dire ça ?

— Cela fait cinq bonnes minutes que les sentinelles nous observent.

Étonné, le groupe chercha partout autour d'eux les sentinelles dont il venait de parler, mais il n'y avait rien. Même Phi qui pouvait voir ses semblables même s'ils étaient invisibles n'en apercevait aucun.

— Montrez-vous ! ordonna le dragon. Je suis Shay, gardien suprême des partitions d'Atea et je viens m'entretenir avec les souverains de votre royaume. Nous ramenons aussi l'une des vôtres qui s'est égarée dans le monde par delà-la forêt.

Pendant un moment, il n'y eut aucun bruit. Même les feuilles des arbres ne bruissaient plus. Le vent s'était arrêté et tout le monde retenait sa respiration. Soudain, une fée apparut devant le dragon. Légèrement plus grand que Phi, c'était un homme bien plus trapu qu'elle. Il portait une armure argentée et une épée dans ses mains qu'il pointait vers les intrus.

— Il compte faire quoi avec son cure-dent ? Se moqua la demi-dragonne.

— Silence Ely. Leurs lames sont enduites d'une neurotoxine qui te tuerait en moins de trente secondes. Une seule piqûre et s'en est fini de toi. Même moi je ne suis pas certain d'en réchapper.

Cette explication eut presque l'effet escompté sur Elyazra. Si d'apparence elle se taisait et restait tranquille, un seul mouvement brusque de la part de cette fée en armure et elle l'incinérait. Elle dut tout de même revoir ses plans lorsque d'autres sentinelles apparurent. Il y en avait au moins trois par personnes.

— Comme je l'ai dit, nous venons en paix pour ramener l'une des vôtres et nous entretenir avec vos dirigeants.

La première fée à être apparue se mit à bouger les lèvres, mais aucun son ne semblait sortir de sa bouche. Cependant, Phi devait l'entendre car se précipita devant lui avec une expression horrifiée. Pendant plusieurs minutes, les deux petites créatures conversèrent, puis les autres gardes vinrent les rejoindre et commencèrent à s'éloigner dans la forêt. D'un geste de la main, Phi dit au reste du groupe de les suivre et rejoignit les autres membres de sa race.

— Je crois que notre petite amie vient de nous sauver la vie, commenta Guard.

— C'est fort possible. Cette sentinelle devait dire que nous avions enfreint les lois et prononçait la sentence. Elle a dû réussir à les raisonner, suivons-les.

— Au fait, tu as bien dit les partitions d'Atea ? questionna Syara tout en avançant sans perdre Phi du regard.

— Tu ne pensais tout de même pas qu'elles s'étaient toujours appelées partitions perdues, lui répondit le dragon.

C'est vrai qu'elle n'avait pas vraiment réfléchi à ça. Au moins, à présent, elle pouvait mettre un nom sur ce qu'elle recherchait. Lorsqu'elle était encore à l'école, elle avait souvent parlé avec Kuta de ce qu'il ferait. Escorter des caravanes, retrouver des objets volés, taper quelques bandits. La liste était longue, mais jamais elle n'aurait pensé rechercher des artefacts légendaires tel que les partitions perdues.

Au bout d'une dizaine de minutes, les sentinelles et Phi s'arrêtèrent devant un grand arbre au tronc creux. Une à une, les fées s'engouffrèrent à l'intérieur et disparurent une fois à l'intérieur. Phi leur fit de nouveau signe de la suivre et y entra à son tour, imité immédiatement par Shay. Après tout, s'il avait confié un fragment de partition à ce peuple, il devait déjà être passé par là.

Avec une certaine appréhension mêlée à de l'excitation, Syara s'engouffra à l'intérieur de l'arbre et se sentit disparaître. La sensation était similaire à celle des téléportations lorsqu'ils passaient les portails, mais il y avait quelque chose en plus, un étrange picotement qui parcourait l'intégralité de son corps comme si des milliers d'aiguilles lui transperçaient la peau. Cela ne dura qu'un instant et, lorsqu'elle retoucha terre, la beast ne put qu'être ébahie par ce qui se trouvait devant elle.

Le violon de cristal: les partitions perduesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant