Chapitre 150 : La fierté d'un père

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 Totalement abasourdie par ce que venait de lui dire son père, Phi restait totalement immobile en le regardant dans les yeux. Seule sa mâchoire s'ouvrait et se fermait légèrement sans qu'aucun son ne sorte de sa bouche. Juste devant elle, le roi continuait à pleurer en se confondant en excuse. Pour elle, c'était à n'y rien comprendre. Elle avait bien vu cet étrange brouillard quitter son corps, mais le changement avait été tellement radical !

De son côté, Elyazra avait repris sa marche en direction du souverain. Elle n'avait visiblement plus besoin de se presser, mais ce pouvait tout aussi bien être un piège pour qu'elle baisse sa garde et qu'il ait le temps de se prendre à Phi. Il lui suffisait de faire un seul geste un peu trop brusque et elle serait sur lui pour l'en empêcher.

Malgré cette crainte, il ne tenta rien. Lorsque la demi-dragonne arriva à son niveau, elle passa sa lame sous sa gorge.

— C'est terminé, annonça-t-elle.

— Je le sais, répondit-il d'une voix posée. Après tout ce que j'ai fait, toutes ses personnes qui ont souffert par ma faute pendant tant d'années, c'est un juste retour des choses que je le paye de ma vie.

Malgré son visage qui restait impassible, Elyazra était étonnée par cette réponse. Ne sachant pas si elle devait l'achever ou même si elle en avait le droit, ses yeux se baladèrent entre le père et sa fille. Lui avait la tête baissée, résigné quant à son sort. Elle la fixait avec de grands yeux d'où commençait à s'échapper des larmes, comme pour lui dire de ne rien faire.

Cette situation lui rappela alors les premiers êtres doués de conscience qu'elle avait tués. Les amis de Guard. Au premier abord, ils étaient dangereux, une menace pour quiconque les croisait. Ils s'étaient aussi révélés peu combatifs et presque autant à la merci que le roi à cet instant. Plus tard, elle avait appris qu'ils n'avaient jamais tué personne et qu'ils ne blessaient que très rarement ceux qu'ils volaient. Au final, ils ne méritaient peut-être pas de mourir et elle s'en voulait intérieurement de les avoir massacrés.

Pour le roi, elle avait vu de quoi il était capable. Il n'était certainement pas comme eux et était dangereux. Pourtant... Pourtant... Elle avait l'impression que le tuer serait une grave erreur. Il lui manquait une pièce du puzzle pour tout comprendre et, sans elle, elle ne pouvait prendre sa décision.

— Range ton arme Ely, intervint Shay. Le père de Phi n'est pas le fautif dans tout ça, c'est une victime.

— Quoi ? Je veux bien admettre qu'il y a quelque chose qui ne va pas, mais de là à dire que c'est une victime...

— Il était sous l'emprise des partitions d'Atéa. Si ce que je suppose est vrai, elles étaient habitées par la même entité qui a pris le contrôle de Syara lorsque nous nous trouvions chez les harpies.

— Comment ça ?

— Mon violon est habité par deux entités, s'avança Syara. La première est Fos, l'esprit du premier porteur du violon, celui qui a caché les partitions. La seconde est cet esprit maléfique. Pour garder un lien avec les partitions, Fos a fragmenté son âme pour y introduire une petite partie à l'intérieur. Le problème avec celle-là, c'est que l'esprit maléfique a discrètement placé un fragment de la sienne en même temps. À partir de là, toute personne qui se trouvait trop longtemps en contact avec la partition était corrompue par l'esprit maléfique.

— Et tu savais ça toi ? questionna la demi-dragonne en se retournant vers Guard.

— Non, mais j'ai fait le rapprochement entre plusieurs éléments. Le fait que le violon de Syara soit affecté par la colère du roi, le cylindre à sa ceinture qui était similaire au faux qu'il nous avait remis, l'histoire du premier porteur du violon, la reine qui nous a dit qu'il adorait sa fille au point de la surprotéger...

— Depuis combien de temps portez-vous la partition ? demanda le dragon.

— Dix ans, avoua-t-il en un souffle. Lorsque Phindéréllia a eu son accident, j'étais totalement désemparé. Rien ne la faisait revenir, pas même les pouvoirs de nos soigneurs les plus aguerris. Je me suis alors tourné vers l'artefact qui avait été confié à mes ancêtres et qui recélait d'un pouvoir incommensurable. Je l'ai gardé avec moi en priant qu'elle s'en remette et, je ne sais pas si ce sont mes prières qui ont été exaucées ou si c'était dans l'ordre naturel des choses, mais ma petite fille a repris connaissance peu de temps après.

— Dans ce cas, pourquoi ne pas avoir reposé la partition ?

— Dans ma tête, j'entendais une voix qui me répétait qu'elle serait toujours en danger si je ne faisais pas attention à elle et que garder la partition près de moi aiderait à la mettre en sécurité. J'étais tellement apeuré de savoir Phindéréllia en danger que je me suis persuadé que cette idée venait de moi. J'ai alors commencé à la surprotéger pour être certain qu'il ne lui arrive rien.

— Mais...

— Mais plus le temps passait et plus la voix se faisait insistante et me faisait croire qu'elle était moi. Elle me répétait que Phindéréllia n'était qu'une incapable, qu'elle n'était bonne à rien... Qu'elle ne devrait jamais monter sur le trône. En quelques années, je me suis perdu et je suis devenu sa marionnette. Je suis désolé mon trésor, je ne suis ni un bon roi, ni un bon père.

Alors qu'il cherchait une quelconque réaction sur le visage de sa fille, celle-ci sauta à son cou et l'étreignit de toutes ses forces. Malgré sa grande fatigue, elle avait su puiser dans ses forces pour faire ce geste qui en disait long.

— Tu es enfin de retour, papa, pleura-t-elle faiblement sur son épaule.

Avec une certaine difficulté, le roi se releva et aida sa fille à en faire de même. Il attendit ensuite patiemment et sans un mot qu'elle finisse de l'étreindre, acceptant en même temps de rattraper toutes ces années où il n'avait pas été là pour elle. Lorsqu'elle se défit enfin de lui, il la fixa droit dans les yeux, le regard empli de fierté.

— Avec ce tournoi, je cherchais quelqu'un qui serait parfait pour me succéder. Je crois avoir trouvé la personne idéale, sourit-il.

Lentement, le souverain porta ses mains à sa couronne et l'enleva de sa tête pour la déposer sur celle de sa fille, puis, posa un genou à terre.

— Je vous serai toujours dévoué et loyal, reine Phindéréllia.

Avec de grands yeux écarquillés, Phi observa son père, puis posa son regard sur le reste de l'assemblée. Une à une, les fées venaient se positionner derrière le souverain et s'agenouillaient devant elle. Sa mère avait elle aussi quitté les tribunes pour se prosterner à côté de son mari.

Quant à ses amis, ceux qui lui avaient sauvé la vie, eux lui souriaient et faisaient des révérences. Elle qui avait fui son royaume pour échapper à la tyrannie de son père se retrouvait à présent avec un père aimant, une couronne sur la tête et un peuple à diriger.  

Le violon de cristal: les partitions perduesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant