Chapitre 108 : étalage de pouvoirs

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 Si Shay croyait que son adversaire allait insister pour qu'il sorte son instrument et soit tout aussi prêt à se défendre que lui l'était d'attaquer, il se mettait le doigt dans l'œil. Respect, honneur, loyauté, autant de valeurs qui avaient quitté Fos depuis qu'il avait assisté aux horreurs de la guerre. Pour lui, seul le résultat final comptait à présent et ce qu'il voulait à cet instant était de découvrir qui était cet homme et comment allait-il s'y prendre pour que le conseil l'écoute enfin.

En deux coups d'archet, le violoniste fit apparaître d'épaisses ronces qui percèrent le sol et s'enroulèrent autour des jambes et des bras de son adversaire tel des serpents constrictors. Il remarqua tout de suite que du sang ruisselait. Les épines avaient transpercé la peau.

Le visage de Shay devint blême et son équilibre de moins en moins assuré, le poison faisait son effet. Il ne s'arrêta cependant pas là. Le mage changea de rythme et accéléra tout en jouant plus grave. De grandes épines acérées en acier se mirent à sortir du sol tout autour de Shay et se rapprochèrent de plus en plus de lui. S'il ne faisait rien, il serait empalé par plusieurs dizaines de ces pointes, mais les racines l'entravaient déjà et le fait que le sort se soit déclenché tout autour lui coupait toute possibilité de retraite.

Malgré cette situation désespérée, Shay resta calme et attendit que les épines soient au plus près pour réagir. Dès qu'il fut certain que le violoniste ne pourrait pas modifier son sort en fonction de ce qu'il allait faire, des flammes blanches rongèrent ses liens et le libérèrent. Il s'empressa ensuite de sauter pour éviter l'attaque et atterrir derrière la rangée de piques. Tout avait été minutieusement calculé, à tel point que les pointes qui étaient sorties sous ses pieds lors du saut avaient à peine effleuré sa semelle.

Mais le plus impressionnant, et c'est ce qui confortait Fos dans l'idée qu'il n'était pas quelqu'un d'ordinaire, était la distance qu'il était en train de parcourir en un seul bond. Pour un humain, il était tout bonnement impossible d'aller aussi loin et lui arrivait facilement à parcourir une dizaine de mètres et atteindre plusieurs mètres de haut sans forcer. De plus, il ne l'avait pas vu invoquer d'instrument. Peut-être avait-il un collier pour amplifier la voix de caché sous sa veste ou un petit instrument dans sa poche, mais pourtant, il avait les mains entravées et n'avaient pas ouverts la bouche une seule fois.

Cependant, et malgré toutes ses interrogations, le violoniste ne comptait pas le laisser s'en sortir avec, littéralement, une telle pirouette. Avant que son adversaire ne se réceptionne, Fos changea de nouveau de rythme et joua plus lentement et bien plus aigu. Le sol se recouvrit instantanément d'une épaisse plaque de glace.

Comme l'avait fait Shay, il avait attendu le dernier moment pour agir, ce qui ne lui permit pas d'anticiper. Il atterrit sur la surface glissante et patina en battant des bras pour rester debout. Le mage profita de cet équilibre précaire pour donner un nouvel assaut. Cette fois-ci, il ne comptait pas lui laisser le temps de réfléchir en faisant apparaître son sort au loin et faire en sorte qu'il se rapprocherait de plus en plus. Non. Il se contenta de faire sortit de terre des stalagmites de glace juste sous ses pieds pour l'empaler.

Fos était sûr d'avoir réussi son sort, la preuve étant que certaines pointes de glace étaient sorties autour de son adversaire. Mais dès qu'elles approchaient un peu trop près, elles fondaient immédiatement et se transformaient en vapeur. Quelle idée stupide d'utiliser de la glace contre quelqu'un qui maîtrisait le feu, pensa-t-il immédiatement.

La véritable patinoire qu'il avait créé se mit immédiatement à fondre et il sentit la température monter.

— Tu n'as que ça en réserve ? Je suis déçu, le nargua son adversaire.

— Alors on est deux, rétorqua Fos.

Le violoniste en était encore à l'échauffement et n'avait pas une carte dans sa manche, mais plusieurs paquets. Un simple coup d'archet sur la corde la plus grave fit disparaître le sol sous Shay. Il tomba immédiatement dans un trou de six mètres de diamètre et au moins trois fois plus profond.

La terre excavée pour creuser ce gouffre réapparut immédiatement après et retomba dans la fosse pour ensevelir son adversaire.

— Tu vas t'en sortir ou il faut que j'aille te chercher ? nargua Fos.

— Ça ira, merci bien, fit une voix juste derrière lui.

Surpris, le mage se retourna et prit rapidement ses distances. Shay se tenait là, indemne. Il époussetait négligemment la poussière sur son épaule et lui souriait. Comment avait-il fait ? Creusé un tunnel ? Il n'y avait pourtant aucun trou derrière lui. Téléporté ? Dans ce cas, pourquoi ne l'avait-il pas senti ? Il commençait à vraiment l'énerver à déjouer toutes ses attaques.

L'heure n'était plus à l'échauffement et à la plaisanterie. Il voulait qu'il l'attaque avec l'intention de le tuer ? Très bien, il l'aurait voulu ! Fos donna de rapides coups d'archets sur les cordes de son violon. Les nuages déjà gris s'assombrirent encore et se mirent à tourner en spirale au-dessus du terrain vague.

— Voilà qui devient intéressant, commenta Shay.

À peine eut-il fini sa phrase qu'un éclair fendit l'air et le toucha de plein fouet. La détonation avait été monumentale et avait recouvert le son du violon. Shay était à présent accroupi et fumait. Par endroits, ses vêtements avaient pris une teinte noir ou arboraient de grands trous. Il se releva cependant au bout de quelques secondes, totalement indemne.

— Mais tu vas crever oui ? s'énerva Fos.

Fini l'étalage de ses pouvoirs. Il en avait marre de lui. Le violoniste fit crisser son archet sur ses cordes et grimaça lui-même à cause de ce son insupportable. Un rayon noir aux reflets violets partit alors de lui et parcourut, presque aussi vite que l'éclaire, la distance qui le séparait de son adversaire.

Shay, cette fois-ci, ne chercha même pas à faire le malin cette fois-ci et se coucha à terre. Le projectile continua sa route en dehors du terrain et dévasta tout ce qu'il croisa sur plusieurs centaines de mètres. Heureusement, la zone en question n'était que des ruines depuis longtemps désertées et bien trop instables pour que les autorités du camp acceptent que quelqu'un s'y aventure. Quelques immeubles s'effondrèrent sous le choc et provoquèrent un véritable fracas, mais Fos s'en fichait. La victoire était à portée de main et il s'apprêtait à la saisir.

— Attend ! implora Shay, toujours à terre, en levant sa main vers lui. C'est bon, tu as gagné, je me rends.

— Enfin ! s'exclama-t-il en révoquant son instrument. Maintenant que tu as eu ce que tu voulais, à moi d'avoir ma récompense. Dis-moi tout.

Le violon de cristal: les partitions perduesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant