Chapitre 43 : Tristesse

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Toujours accroupie à côté de l'entrée de la maison, Syara observait le ciel et essayait de se vider l'esprit. Il n'y avait cependant rien à faire, dès qu'elle ne pensait à rien, les souvenirs du charnier revenaient. Telak et le grand-père discutaient depuis un bout de temps à l'intérieur. À cet instant, la beast regrettait d'être munie d'une ouïe sur-développée. Elle entendait, à travers la porte, les pleurs du vieil homme.

Après un long moment, la porte s'ouvrit enfin et le grand-père sortit de chez lui. L'homme se plaça devant la jeune femme et apposa sa main sur son épaule. Les yeux rougis plongés dans ceux de la violoniste, le vieil homme lui offrit un sourire triste.

— Vous n'auriez pas pu les sauver, ça n'était pas de votre faute, dit-il d'une voix tremblante. Merci de les avoir vengés et de leur avoir offert une sépulture descente. Vous devriez rentrer vous reposer. Je dois annoncer la sinistre nouvelle aux enfants et je ne pense pas que vous vouliez assister à ça.

Syara accepta l'offre et s'allongea sur un lit. Telak, lui, restait immobile sur une chaise, absent. Pendant un moment, un silence lugubre s'installa, puis, en un instant, s'éclipsa en faveur de cris et de pleurs qui résonnèrent dans tout le village. La beast, en boule sur le lit, plaqua ses oreilles contre son crâne. Elle ne voulait pas les entendre. Elle ne pouvait pas en supporter plus.

Les bruits à l'extérieur cessèrent avec le temps. Syara avait besoin d'air, mais n'avait pas le courage d'affronter le regard des enfants. Elle sortit tout de même de la maison et s'assit en bordure du village, près des écuries.

Quelques minutes plus tard, le vieil-homme la rejoignit et s'assit auprès d'elle.

— Est-ce que ça va ? demanda-t-il.

— Vous venez de perdre vos proches et c'est vous qui me demandez si ça va ? Je suis pitoyable.

— Ne dites pas ça. Vous êtes jeune, il est normal que cela vous affecte autant. J'ai vu mes amis partir de nombreuses fois à la chasse. À force de s'imaginer le pire, seul au village, j'ai eu le temps de me préparer. Même si ma tristesse n'en est pas moins grande, je me dois de l'intérioriser et d'être fort pour les enfants.

— Qu'allez-vous devenir à présent ?

— Je ne sais pas. Nous ne pouvons plus rester au village. Peut-être allons-nous nous installer à Léfarène. Sendra est plus proche, mais je ne pense pas qu'ils puissent nous accueillir après un mois de déluge.

Syara regarda longuement le grand-père puis se décida à détacher une sacoche de sa ceinture et à lui tendre.

— A l'intérieur se trouve un coffre de cinquante milles pièces. Cela vous permettra de vous installer plus facilement.

— C'est une sacrée somme ! Je ne peux accepter ça.

— Faites-le pour les enfants.

Le vieil homme prit la sacoche à contrecœur et remercia chaleureusement sa généreuse donatrice.

— Je vais préparer à manger pour tout le monde, s'il vous plaît, joignez-vous à nous.

— Je ne sais pas si je pourrais supporter de les voir après avoir échoué.

— Je sais que c'est difficile et je vois bien que vous êtes une personne très sensible. Mais si votre ami a été clair sur un point, c'est que vous n'auriez rien pu faire. D'après lui, ils étaient morts avant que vous ne reveniez de Sendra.

— Si je l'avais écouté là-bas, nous serions peut-être partis trois jours plus tôt et nous serions arrivé à temps. C'est de ma faute.

— Non, ça ne l'est pas, rétorqua-t-il en se levant. Je comprends votre détresse et je la ressens moi-même. Si je puis vous donner un conseil, ne restez pas seule. La solitude est le pire allié de la tristesse, croyez-moi.

Après ses sages paroles, l'homme partit faire à manger pour ce qui restait du village et laissa, paradoxalement, la jeune femme seule. Écoutant ses conseils, elle retourna dans la maison du grand-père et retrouva son mentor.

Lorsqu'elle ouvrit la porte, Telak était en train d'appliquer un onguent sur son épaule blessée.

— Tu ne veux toujours pas me dire comment c'est arrivé ?

— Un mauvais coup du cerbère, répondit-il.

— Ne me prends pas pour une idiote. Un cerbère est une créature très puissante, mais elle n'a aucun pouvoir. Alors dis-moi comment il aurait pu te brûler comme ça.

Malgré son insistance, le démon garda obstinément le silence et remit sa veste pour cacher sa blessure. Syara bouillait de l'intérieur de ne pas savoir ce qui s'était passé. Elle avait aussi le mauvais pressentiment d'être responsable de son épaule noircie.

— Pourquoi tu ne veux rien me révéler ? Pourquoi tu ne m'expliques pas comment le cerbère est mort ? s'énerva-t-elle.

— Tu n'es pas en état pour l'entendre. Je te dirais tout lorsque tu auras remonté la pente. Pour l'instant, rien de bon ne ressortirait si je te le disais.

Telak, ne voulant pas parler de cet événement plus longtemps, sortit de la maison et partit rejoindre le grand-père. Syara resta un peu à observer les flammes dans la cheminée et finit par retrouver les autres au centre du village.

Tous les enfants étaient rassemblés et attendaient de se faire servir, même si aucun d'entre eux n'avait d'appétit. Comme le redoutait la jeune femme, les voir ainsi lui fendait le cœur. Elle avait peur de leur regard, redoutait leur jugement. Pourtant, ils ne la voyaient pas, les yeux rivés sur le sol.

Telak parlait avec l'homme et l'aidait à servir les enfants. La jeune femme se demandait comment son compagnon de route faisait pour être aussi détaché. Comment faisait-il pour ne pas être affecté comme elle l'était ?

Alors qu'elle se rapprochait d'eux, la beast croisa le regard de l'un des orphelins. De tous, ce devait être l'un des plus âgés. Pourtant, il n'en restait pas moins un adolescent. Elle qui croyait ne pas le supporter sentit un élan de compassion. Il ne la jugeait pas, mais partageait sa peine.

— Qu'allons-nous devenir ? demanda-t-il.

Le silence s'installa sur la place. Tous s'étaient arrêté de manger et attendaient une réponse.

— Nous ne pouvons pas rester ici. Nous allons donc quitter le village et nous installer en ville, décida le grand-père. Syara ici présente nous a prêté de quoi subvenir à nos besoins là-bas.

— Ça n'est pas un prêt, mais un don. Et nous vous escorterons pour nous assurer que vous y arriviez sans encombre, clama la jeune femme.

Le violon de cristal: les partitions perduesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant