Chapitre 22 : État d'âme

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Le combat terminé et le feu éteins, Syara examina de plus près sa blessure. L'entaille était fort heureusement nette et peu profonde. Telak, lui, sortit de sa bourse plusieurs bracelets qu'il passa aux poignets des bandits inconscients.

— Qu'est ce-que c'est ? demanda la beast.

— Des bracelets d'arrestation. Il m'en restait de ma dernière mission. Dans quelques secondes, ils vont être téléportés à la prison de Léfarène.

Comme pour illustrer ses dires, les malfrats disparurent en un instant dans une lumière éclatante. Ceux-là ne voleraient plus pendant un long moment.

— Tu devrais soigner ça avant que ça ne s'infecte, conseilla Telak en reportant son attention sur son élève.

— Tu as raison. Par contre, je n'ai pas pensé à amener des bandages. Tu en as sur toi ?

— Pour quoi faire ? Utilise ta magie et ta plaie sera refermée en un rien de temps, sans aucune cicatrice.

— Il n'en est pas question !

Face à cette réponse, le démon ne dit rien. Cependant, l'expression sur son visage invitait la beast à développer les raisons de son refus.

— Lors du combat, aucun pouvoir n'est sorti comme je le voulais, expliqua-t-elle. La lame de vent n'a pas touché la bonne cible, le mur de flamme devait être fait de ronce et je ne parle même pas de celui que j'ai soigné par mégarde. Donc non, je ne me soignerais pas avec ma magie.

— Je comprends. Assieds-toi là et enlève ton manteau, je vais bander ta plaie.

— Je peux très bien le faire seule, protesta la beast.

— Ne sois pas stupide. Tu n'arriveras jamais à serrer les bandages comme il le faut sur une blessure pareil. Assieds-toi ici et enlève ton manteau, répéta le bassiste.

Face à cet argument, la beast ne sut quoi répondre et capitula. Elle s'assit sur le rondin de bois que son mentor désignait, enleva son uniforme de mage et souleva son haut pour exposer la plaie.

Alors que le démon s'affairait à panser la blessure, Syara posa son regard sur le tas d'hémoglobine et de chair calcinée qui gisait près d'elle. Il y a quelques minutes de cela, ses choses informes avaient des noms... Des sentiments... Des rêves... Une famille ?

Tout avait disparu avec leur dernier souffle. Étaient-ils si malfaisants que cela ? Méritaient-ils cette mort affreuse ? Étaient-ils des meurtriers, ou de simple voleurs que la vie n'avait pas épargné ?

Une larme roula sur la joue de la jeune femme. Deux personnes étaient mortes, par sa faute. Deux univers s'étaient éteints, par sa faute. Deux vies, prises de ses propres mains.

Depuis ses dix ans, Syara rêvait d'aventure, de quête et de justice. De combat contre le mal à l'état pur et de sacrifice glorieux pour le bien de tous. Ceci n'avait rien de glorieux, ni de juste.

— Voilà, c'est terminé, annonça Telak en se relevant. Tu peux te rhabiller à présent.

La jeune femme rabaissa son haut, mais resta assise sur le rondin de bois, les yeux rivés sur les deux cadavres. Elle n'arrivait pas à détacher son regard de ce tableau morbide.

— Telak ?

— Oui ?

— As-tu déjà tué quelqu'un ?

La question prit le démon au dépourvu. Il hésita un instant avant de répondre d'une voix grave, emplie de tristesse et de regret.

— Oui, souffla-t-il.

— Comment arrives-tu à vivre avec ce poids sur la conscience ?

Encore une fois, le mage prit le temps de peser chacun de ses mots avant de répondre.

— Lorsque l'on est mage depuis aussi longtemps, on finit par s'y habituer. On cherche la rédemption en faisant le bien autour de soi. On se fait une raison en se disant que c'était pour le bien du plus grand nombre. On oublie...

— C'est vrai ? demanda-t-elle, une autre larme roulant sur sa joue.

— Non... Non, rien n'est vrai, souffla-t-il résigné et désolé.

Face au chagrin qui s'insinuait dans le cœur de la violoniste, Telak préféra s'éclipser. Elle ne lui en voulait pas d'agir ainsi, elle comprenait qu'il ne pouvait rien faire pour l'aider. Être confronté à son propre sens moral était une épreuve qu'elle devait surmonter seule.

Au bout d'une demi-heure que la beast ne vit pas passer, le bassiste revint à elle et posa sa main sur son épaule.

— Nous devrions partir à présent. Nous sommes à la lisière est de la forêt et j'ai aperçu un petit village qui pourrait peut-être nous accueillir pour la nuit.

D'un hochement de tête, Syara accepta de suivre son mentor. Pendant les dix minutes qui suivirent, les deux mages s'attelèrent à rassembler le plus d'objets volés que les bandits n'avaient pas emmenés dans leur fuite. Une fois le camp vidé, Telak prit la tête de la marche. Il s'arrêta cependant lorsque Syara le retint par le bras.

— S'il te plaît, on ne peut pas les laisser comme ça, implora-t-elle.

Un simple regard dans sa direction et le démon comprit ce qu'elle voulait dire. Le bassiste revint sur ses pas et invoqua son instrument. Il joua une mélodie lente et grave. Une musique qui accompagnait les morts dans leur dernière demeure, à mesure que leur corps plongeait dans la terre.

En quelques secondes, plus une seule trace de leur passage n'était visible. Outre les quelques marques de brûlures au sol, la forêt était de nouveau vierge de toute trace de passage.

La demande de Syara accomplie, Les deux mages purent enfin repartir. Encore une fois guidés par Telak, tout deux sortirent de la forêt en quelques minutes. Le jour commençait tout juste à décliner sur la plaine qui s'étendait jusqu'aux pieds de lointaines montagnes. Au nord, des feux s'allumaient un à un dans le village que Telak avait aperçu.

Ils étaient à quelques mètres à peine de la forêt et, déjà, toutes les sensations étaient différentes. Un léger vent, venu de l'est, caressait chaque partie non couverte de leur peau. L'odeur de l'herbe remplaçait les innombrables senteurs des bois. Le sentiment d'oppression, bien que minime, avait laissé place à une agréable sensation de liberté.

À cela s'ajoutait cependant l'impression d'être vulnérable, à découvert, sans cachette aucune où se réfugier en cas d'attaque.

Les deux mages marchèrent jusqu'au seuil du village. Ils y trouvèrent des enfants en train de jouer sous l'œil bienveillant d'hommes et des femmes, sans doute leurs parents. Les jeunes arrêtèrent cependant de se courir après lorsqu'ils aperçurent les deux voyageurs. En un instant, l'ambiance changea de tout au tout. Ils se réfugièrent auprès de leurs parents qui regardaient, d'un air incertain, les nouveaux venus.

— Tu as remarqué ? questionna Telak.

— Oui. Ils sont tous humains, remarqua la violoniste.

Le violon de cristal: les partitions perduesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant