Chapitre 116 : Le nom

1.5K 224 21
                                    

 Un peu plus loin dans la forêt, au milieu d'une clairière, Telak et Rael s'affrontaient afin de garder la forme et ne pas perdre la main. Syara était arrivée en plein milieu de leur exercice et, pour ne pas les déranger, s'était adossée discrètement à un arbre en attendant qu'ils fassent une pause. Les voir ainsi lui rappela immédiatement le passage de l'histoire de Shay où il s'était confronté à Fos. Cependant, les deux duels étaient diamétralement opposés.

Lorsque le dragon avait provoqué le premier porteur du violon, sa description donnait l'impression que les sorts fusaient sans interruption et qu'il n'avait jamais eu l'occasion de souffler. Ici, cela ressemblait bien plus à un étalage de pouvoirs qu'à un véritable affrontement. Telak faisait pleuvoir autour de Rael des pierres allant de la taille d'un poing jusqu'à celle d'un corps entier. L'elfe cyber, lui, ne visait jamais directement de démon, mais essayait de détruire les blocs de pierre ou les renvoyer grâce à ses pouvoirs liés à l'air.

En y repensant, il est vrai que la vision qu'elle s'était faite de leur duel était stupide. Tout deux, contrairement au dragon, n'avaient pas une résistance et une force hors norme. Si Rael se prenait directement un rocher, elle était certaine qu'il ne s'en sortirait pas alors que là, ils simulaient le fait qu'il devait non pas se protéger lui, mais d'autres personnes qui pouvaient se trouver autour. Ainsi, ils testaient leurs réflexes ainsi que la puissance de leurs pouvoirs sans pour autant se mettre en danger.

Un instant, la beast se dit qu'elle essayerait bien elle aussi, mais elle ne savait pas comment son instrument allait réagir avec le sceau qu'avait placé Shay. De plus, elle en était restée aux exercices simples où personne ne se trouvait devant elle lorsqu'elle s'entraînait avec son instructeur. S'il avait choisi de ne pas passer ce cap, c'est qu'il devait y avoir une raison.

Tandis qu'elle réfléchissait à savoir si elle était prête ou non pour ce genre d'exercice, une autre pierre, bien plus grosse que toutes les autres, se mit à tomber du ciel. Celle-ci, bien qu'à l'apparence lourde, n'arriva même pas à toucher le sol et resta en l'air, prise au piège dans une petite tornade. Le sort lancé par Rael avait stoppé la course du projectile, mais il ne comptait pas en rester là. La tornade se mit à grossir jusqu'à atteindre la hauteur de la cime des plus grands arbres, puis expulsa le rocher qui atterrit à la droite de Telak.

— Bon, eh bien je crois que mon équipe est morte, déclara le démon. Bien joué, cela faisait un bout de temps que je n'avais pas croisé quelqu'un capable de renvoyer mes sorts aussi facilement.

— Merci, mais tu n'étais pas avantagé non plus avec ton élément. C'est la première fois qu'un mage de terre me donne autant de mal.

Syara voulait rester encore à les observer, mais la fée en avait décidé autrement. Dès qu'elle sut que leur entraînement était terminé, elle sauta de l'épaule de la beast et rejoignit Telak autour du quel elle se mit à tourner.

— Tu crois qu'elle veut aussi s'entraîner ? rit l'elfe.

— Peut-être. Il paraît que les fées ont de grands pouvoirs. Si ça se trouve, elle est bien plus forte que nous.

Trop focalisée sur le visage du démon, la petite créature ne vit que trop tard qu'un manche de basse se trouvait en plein sur sa route. Elle tenta en vain de ralentir ou de changer sa direction et finit par s'écraser dessus en faisant vibrer les cordes avant de tomber par terre.

— En tout cas, si elle est si puissante, elle cache bien son jeu.

Avec délicatesse, le bassiste se baissa et lui tendit la main pour qu'elle monte dessus et remarqua enfin, en se relevant, la présence de Syara. Une fois qu'il se fut assuré que la fée n'avait rien, le démon la laissa s'installer comme elle avait pris l'habitude, sur son épaule et rejoignit la violoniste.

— Syara ! Je suis content de te voir. Comment te sens-tu ?

— Mieux. J'avais un peu la tête qui tournait, mais maintenant c'est passé. Je suis prête à repartir !

— Pour ça, il va falloir attendre le retour d'Ely.

— Elle n'est toujours pas revenue ?

— Non. Shay nous a conseillé de ne pas approcher de l'endroit où elle est partie, mais je suis sûr que si tu vas la voir, elle ne dira rien et tu pourras sans doute la faire revenir.

— C'est la prochaine sur ma liste. J'ai déjà croisé Guard. Il dessinait...

— Il dessinait ? répéta Rael. Il dessinait quoi ?

— J'allais dire la fée, mais je pense que ce serait bien de lui trouver un vrai nom.

— Elle en a sans doute un, mais comme nous ne la comprenons pas...

— Mais elle nous comprend. Peut-être qu'elle pourrait nous faire deviner.

C'est vrai. Elle avait montré à plusieurs reprises qu'elle comprenait leur langue. De ce fait, elle était parfaitement au fait de leur conversation et se mit à mimer son nom. Malgré tout, la grimace que faisaient les trois mages lui indiqua qu'elle n'avait aucun talent de mime.

— Oiseau ? se hasarda l'elfe.

Le signe de tête de la petite créature lui indiqua qu'il n'y était pas du tout.

— Aile ? tenta Telak.

Non plus.

— Ça a un rapport avec le fait que tu puisses voler ? questionna Syara.

Vu la mine boudeuse et les gestes de plus en plus exagérés qu'elle faisait, ça ne devait avoir aucun rapport.

— On ne va tout de même pas citer tous les noms qui existent.

— Surtout que nous ne savons pas si leurs noms sont les mêmes que les nôtres. On ne peut pas se fier à...

Avant que Syara n'ait fini sa phrase, la fée voleta devant elle et hocha vivement la tête avec un large sourire.

— Fier à ? répéta la beast.

La petite créature fit un signe que, pour une fois, les trois comprirent. Elle voulait qu'elle ne prenne qu'une partie de ce qu'elle avait dit.

— Fier ?

Une nouvelle fois, la fée effectua le même mouvement.

— Fi... Phi ? Tu t'appelles Phi ?

Pour toute réponse, elle hocha les épaules. Ça ne devait pas être ça, mais cela lui convenait sans doute qu'on l'appelle ainsi.

— Phi, fée, ça ne fait pas vraiment de différence, commenta Rael.

— Au contraire ! On ne l'appellera plus la fée, mais phi. C'est un bon début. Et à présent que ce problème est réglé, il faut que je fasse revenir madame boudeuse.

— Bonne chance, et soit prudente.

— Ne t'en fais pas. À tous les coups, elle est allée se réfugier dans une cachette où elle a entreposé pleins de fûts de bière, rit-elle en commençant à s'éloigner.

— J'espère pour toi que tu as raison, souffla Telak en la regardant disparaître entre deux arbres.  

Le violon de cristal: les partitions perduesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant