Chapitre 182 : L'art d'enfoncer les portes

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 — Quoi ?! Tu m'avais pourtant promis que tu ne ramènerais pas dragounou ! paniqua l'esprit du coffre. D'ailleurs, il a changé de sexe ?

— Ça n'est pas lui, imbécile, c'est sa fille, souffla le Fos du violon.

— Il a une fille ? Ça veut dire qu'il a réussi à trouver une femme capable de le supporter ? Tu m'excuseras, mais ma théorie est bien plus crédible.

— Ely, qu'est-ce que tu fais ici ! s'exclama la beast.

— Je te l'ai dit, ça fait des heures qu'on t'attend ! J'en avais marre alors je suis venue.

— Comment ça des heures ? S'inquiéta Syara en se tournant vers les deux Fos. Depuis combien de temps je suis ici ?

— Cinq minutes, répondit le premier.

— Moi j'aurai dit sept, dit à son tour le second.

— Non, mais je parle du temps qui s'écoule à l'extérieur du coffre, précisa-t-elle.

— Ho ! Pardon, je n'avais pas bien compris... Cinq minutes, insista-t-il.

Tandis que Syara poussait un soupir de soulagement, le son d'une guitare que l'on gratte lui dressa les oreilles sur la tête. Elle se retourna alors et vit son amie, un instrument à la main, les yeux rivés sur sa main gauche pour ne pas rater l'accord qu'elle s'apprêtait à faire sonner.

— Mais... Mais qu'est-ce que tu fais ?! paniqua la violoniste.

— Bah quoi ? C'est comme au bar où on s'est rencontrée, les instruments sont là pour qu'on y joue, non ?

Avec une certaine appréhension, la beast se tourna vers l'esprit du coffre. C'était à lui de décider si ce que la demi-dragonne venait de faire allait lui faire échouer l'épreuve où s'il était indulgent.

— Bon... D'un côté, moi je crois que c'est dragounou, et de l'autre, tu me dis que c'est sa fille. Si c'est bien le cas, comment est-elle ?

— Le même caractère que son père, mais en plus impulsif, répondit simplement l'autre Fos.

— Donc, d'un côté je n'oserai jamais lui dire quoi que ce soit, et de l'autre, c'est encore pire, c'est ça ?

— A peu près...

— Dans ce cas, disons qu'elle ne savait pas ce qu'elle faisait, conclut-il. Par contre, je n'ai aucune envie de répéter l'intitulé de l'épreuve, donc démerdez-vous.

Une nouvelle fois, la violoniste souffla, soulagée, puis s'empressa d'aller confisquer l'instrument des mains de la demi-dragonne. Malgré tout, s'il avait été facile de faire comprendre à Phi qu'elle ne devait toucher à rien, pour Elyazra, c'était une autre histoire. À peine Syara avait reposé la guitare à sa place que son amie s'était empressée de s'emparer d'un autre instrument, prête à y jouer.

— Mais tu vas arrêter de te comporter comme une gamine ?! s'exclama la beast.

— C'est toi qui te comportes comme une gamine à ne pas vouloir prêter tes jouets ! rétorqua la demi-dragonne.

— Étrangement, je vois très bien le côté impulsif dont tu faisais référence, commenta l'esprit du coffre à l'intention de celui du violon.

— Tu es vraiment intenable et insortable ! répondit la violoniste. Tu ne pouvais pas rester dix minutes dehors le temps que je règle ça !

— Mais dix minutes, ça me paraît être des heures quand je n'ai rien à faire ! se défendit-elle. Et puis qu'est-ce que tu entends par régler ça ?

— Je dois ouvrir cette foutue porte et je n'ai le droit qu'à un essai ! répondit sèchement la beast en pointant l'immense gueule de monstre gravée sur les deux battants.

Elyazra, bien qu'en pleine querelle avec Syara, prit un instant pour regarder dans la direction que la beast pointait. Sans même chercher à comprendre l'intitulé de l'épreuve, la demi-dragonne tendit sa main vers la porte et invoqua une boule de feu noir aussi grosse qu'un torse qu'elle projeta dessus. À l'impact, un grondement sourd résonna et le sol se mit à trembler. Les deux battants se mirent alors à bouger et à s'ouvrir sous le regard médusé de la beast.

— Voilà, c'était pas compliqué, commenta la demi-dragonne. Pas besoin d'y rester dix minutes.

— Elle casse mes jouets et tu vas me dire que ça n'est pas dragounou ?! s'énerva l'esprit du coffre.

— Même si elle n'a pas fait exprès, elle a quand même réussi ton épreuve, contredit l'autre Fos.

— Comment ça elle a réussi ? demandèrent presque à l'unisson Syara et Phi.

— En réalité, l'instrument qu'il fallait utiliser dépendait de la personne. Il s'agissait tout simplement de son propre instrument lié. Tu as remarqué que le violon qui se trouvait là était un faux, mais tu n'as pas pensé que la réponse était peut-être ton violon ?

— Il a dit qu'un seul instrument permettait d'ouvrir la porte, alors je me suis dit que ce devait être un instrument pour tout le monde. Et puis, ça n'explique pas pourquoi j'avais l'impression que ce violon m'appelait et pourquoi Elyazra a réussi à ouvrir cette porte sans instruments !

— Ce violon t'appelait parce qu'il aurait été tien si je n'avais pas décidé de te confier le violon de cristal, répondit l'esprit du coffre d'un ton si sérieux que l'on avait l'impression qu'il s'agissait d'une tout autre personne.

— Quant à Ely, elle n'a pas besoin d'instrument. C'est le fait d'utiliser de la magie près de la porte qui l'active. Si Phi avait utilisé un sort elle aussi, la porte se serait ouverte, compléta l'esprit du violon.

Avec ces explications, Syara s'en voulut de ne pas y avoir pensé elle-même. Mais, plus intriguant pour elle, elle se demandait si utiliser le violon qu'elle tenait encore en main aurait marché. Le violon de cristal avait des pouvoirs presque illimités, mais qu'en était-il de celui-ci ? Qu'en était-il du sien, le vrai ?

— Tu te demandes si utiliser ce violon aurait fonctionné, crut deviner Fos. À vrai dire, l'apparition d'Elyazra m'a quelque peu frustré. Je voulais voir si tu arriverais à en tirer quelque chose.

— Malheureusement, ce violon est condamné à rester sans maître, ajouta le gardien du coffre. Un mage ne peut avoir qu'un seul instrument lié et, mise à part le violon de cristal, il n'existe à ma connaissance aucun autre instrument ayant eu plusieurs porteurs.

Sans dire un mot, Syara se rendit devant la copie du violon de cristal. Elle l'enleva alors de son étui et, avec une certaine tristesse mêlée à de la douceur, la beast déposa délicatement le violon qu'elle ne pourrait jamais avoir dans l'étui capitonné. De par ce geste, elle avait l'impression d'abandonner une part d'elle-même. Elle resta un instant à regarder ce qui aurait dû être son instrument, puis détourna les yeux définitivement de lui.

— Syara ! l'appela alors Phi. Viens voir, il y a plein de statues de l'autre côté de la porte !

— Des statues ? S'étonna le Fos du violon. La prochaine épreuve ne comporte pas de statue.

— Vois-tu, ces derniers mois, je m'ennuyais un peu, alors j'ai inventé quelques épreuves supplémentaires, tenta de se justifier l'esprit du coffre.

— Quelques ? Répéta l'autre partie de son âme. Combien ?

— Ho, trois fois rien...

— Combien ?

— Juste de quoi passer un peu le temps...

— Combien ?

— Trente-six, avoua-t-il.

— Combien ?! s'exclama alors l'autre.

Le violon de cristal: les partitions perduesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant