Chapitre 129 : comment se faire passer pour un polymorphe

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 Dans l'une des suites du palais que le groupe s'était auto-attribué, chacun vaquait presque seul à ses occupations. Rael et Elyazra observaient la pièce spacieuse, immaculée et richement décorée de cristal, d'or et d'argent et se demandaient pourquoi un tel endroit existait dans un royaume qui ne recevait absolument jamais de haut dignitaire étranger. Guard regardait avec attention Shay qui préparait un feu en plein milieu du salon sans se soucier une seule seconde de savoir si cela était bien prudent.

Quant à Telak, le démon barrait le passage à Syara qui tentait par tous les moyens de sortir. Malgré la demande du dragon de rester ensemble, la beast ne pensait qu'à une chose. Retrouver Phi et s'assurer qu'elle allait bien. Cependant, malgré ses cris de protestations et toutes ses tentatives, elle n'arrivait pas à faire bouger le bassiste.

Au bout d'une dizaine de minutes, elle comprit qu'elle était peut-être allée un peu trop loin lorsque le démon la repoussa violemment après qu'elle l'ait mordu au bras à pleines dents. En fait, elle aurait peut-être dû s'arrêter un peu avant, pensa-t-elle. Toutes les parties non protégées de Telak étaient recouvertes de griffures qu'elle lui avait infligées en essayant de forcer le passage. Tant pis, elle se faufilerait discrètement à l'extérieur quand ils auraient tous le dos tourné. En attendant, pour se faire pardonner, la violoniste invoqua son violon et joua une douce mélodie qui apaisa le cœur, l'esprit et les maux de tous ceux qui se trouvaient auprès d'elle.

— Ne crois pas que je vais passer l'éponge aussi facilement. Ça fait mal !

— Et toi, ne crois pas que tu arriveras à me retenir !

Ces paroles, Syara les regretta tout de suite. En disant cela, elle venait d'indiquer au démon qu'elle n'avait toujours pas abandonné l'idée de retrouver son amie. Elle était certaine qu'à présent Telak allait toujours la surveiller du coin de l'œil pour l'empêcher de sortir.

— Les enfants, on se calme, réprimanda gentiment Shay. Et Syara, tu ne sors pas d'ici, j'ai besoin de toi.

— De moi ? Qu'est-ce que vous faites ? demanda-t-elle, intriguée.

— J'ai scellé la quasi-totalité des pouvoirs de ton violon, donc il faut que je te prépare une potion qui aura le même effet.

— C'est-à-dire ? s'inquiéta la beast.

— Mon mensonge sur la race des polymorphes à peut-être fonctionné dans la salle du trône, mais le roi ne s'en contentera pas. Pour que tu puisses participer aux épreuves, il faut qu'il croie que tu es un homme.

— Donc vous préparez une potion pour m'en donner l'apparence.

— Presque...

— Comment ça presque ? Vous ne voulez tout de même pas dire que...

— Une fois la potion ingérée, tu en seras bel et bien un, finit-il par lui expliquer en posant un petit chaudron sur le feu.

— Quoi ?!

Si les mages et Guard se demandaient comment une mixture pouvait changer ainsi la physionomie de quelqu'un, Elyazra, elle, s'écroula sur le canapé, morte de rire.

— Je ne vois pas ce qu'il y a de drôle !

— Tu ne t'es jamais demandée ce que ça faisait d'être un homme ? questionna la demi-dragonne en essuyant une larme provoquée par le rire.

— Bizarrement, non. Pourquoi, toi oui ?

Avec un léger sourire énigmatique, la jeune femme se releva et sautilla vers la violoniste. Elle se colla au plus près d'elle et approcha sa bouche de son oreille.

— Moi oui, lui susurra-t-elle. À chaque fois que je me retrouve dans ton lit.

S'éloignant de Syara, la demi-dragonne la fixa dans les yeux pour voir sa réaction. Elle ne le regretta pas une seule seconde. Totalement immobile la beast la regardait, incrédule et la bouche grande ouverte. Satisfaite de sa blague, Elyazra repartit dans un fou-rire et s'écroula de nouveau sur le canapé.

— Arrête... De... Te... Foutre... De... Moi ! hurla Syara, accompagnant chaque mot d'un coup de coussin dans le visage de son amie, la faisant rire de plus bel.

Au moins, sa plaisanterie avait permis de faire passer un peu mieux à tout le monde le coup de la potion que Shay était sur le point de préparer. Même si elle n'en avait aucune envie, il fallait bien avouer que cette méthode radicale était bien mieux que celle de simplement changer de vêtements.

— Ne t'en fais pas, tu ne resteras un homme que le temps des épreuves. Dès que nous aurons récupéré Phi et que nous serons de retour à Léfarène, je te donnerais une autre potion pour que tu retrouves ton corps.

— J'espère bien, grommela Syara en s'asseyant à côté de la demi-dragonne.

— Mais au fait, comment ça se fait que tu connaisses une telle potion ? s'interrogea Elyazra.

— Il y a de cela un bout de temps, lorsque je me trouvais encore sur le monde originel de toutes les races, je me faisais passer pour une éminente alchimiste auprès des habitants d'une grande ville. À cette époque, cette potion était onéreuse et difficile à faire, mais il n'était pas rare de trouver des acheteurs qui ne se sentaient pas bien dans leur corps ou qui voulaient tout simplement tenter l'expérience. Aujourd'hui, cette potion a disparu à cause des ingrédients qui ne se trouvaient que sur ce monde, mais j'ai tout de même réussi à trouver des substituts pour la recréer.

— Attends, Attends ! Tu as dit une éminente alchimiste ? Tu veux dire que tu étais une femme avant ?

— Oui et non. Disons que les dragons n'ont pas vraiment besoin de cette potion et qu'ils sont ce qui se rapproche le plus de la race des polymorphes que j'ai inventé. Après tout, rappelle-toi que je suis un gros lézard de plusieurs dizaines de mètres pourvu d'ailes et capable d'utiliser la magie sans instruments et de cracher du feu. Changer ma morphologie en forme humaine est quelque chose de facile pour moi.

— Donc tu as déjà été une femme, insista la demi-dragonne.

— Oui, souffla Shay, j'ai déjà été une femme. Contente ?

— C'est quoi le mieux ?

Voyant qu'il n'allait pas pouvoir se focaliser sur ce travail qui requérait concentration et précision, le dragon souffla longuement et tourna la tête vers celle qu'il avait élevé pendant toute son adolescence. Visiblement, même si elle était la seule à poser ces questions, les autres n'en étaient pas moins intrigués. En somme, elle devait être la porte-parole sans gêne de ce que les autres n'osaient pas demander.

— Les deux ont leurs avantages et leurs inconvénients. Mais disons que du côté purement biologique, être un homme est mon... Contraignant. Et avant que tu le demandes, non tu n'as pas ce pouvoir, même avec du sang de dragon dans tes veines.

— C'est nul, bouda Elyazra.

— Si tu insistes, je t'en ferai une aussi. Mais une fois rentré avec Phi, pas avant. Maintenant laissez-moi me concentrer !

Alors qu'il se retournait vers le chaudron et qu'il s'apprêtait à piocher le premier ingrédient dans sa sacoche pour enfin commencer la préparation de sa mixture, un bruit sourd se fit entendre du côté de la porte. Celle-ci s'ouvrit et révéla une fée au visage tout aussi fin que celui de Phi, avec les mêmes cheveux d'or. Elle arborait cependant de très légères rides au coin de ses yeux qui trahissaient une certaine inquiétude.

— Excusez-moi de vous importuner, mais puis-je vous parler un instant ? demanda la reine.

Le violon de cristal: les partitions perduesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant