Chapitre 18 : Un exercice pas si facile

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Une fois rassasiés, les deux mages payèrent leur note et sortirent de l'auberge. La fraîcheur du matin provoqua quelques picotements sur leur visage. La sensation n'était pas désagréable, mais plutôt vivifiante. Sur les branches et les feuilles des arbres perlaient une multitude de gouttes de rosée qui, malgré le peu de lumière, scintillaient tel du cristal et donnait l'impression que la forêt entière était sertie de diamants.

Les deux compagnons s'engouffrèrent dans le bois et ne s'arrêtèrent que pour manger ou lorsque l'obscurité étendit son voile sur la région. Bien que le paysage soit monotone, Syara avait apprécié cette journée à arpenter ce chemin à travers la forêt. Les senteurs boisées accentuées par son odorat développé, la route étonnamment bien entretenue, les bruits discrets des animaux, l'étrange absence de voyageurs, même dans l'autre sens, donnaient cette étrange impression d'être hors du monde et du temps lui-même.

— Nous camperons ici, ça me semble bien, annonça Telak. Et j'ai un petit entraînement à te faire faire.

— A cette heure-ci ? s'étonna-t-elle.

— Rien de compliqué, ne t'en fais pas. Je vais te demander de t'occuper du feu, mais uniquement avec ta magie.

— Ha, enfin ! s'exclama Syara, heureuse d'enfin avoir l'occasion d'utiliser ses pouvoirs.

Sans attendre, la jeune femme invoqua son violon et se mit en position. Elle approcha l'archet des cordes, mais s'arrêta en entendant un raclement de gorge. Telak la regardait comme un enseignant fixerait un de ses élèves dont il aurait vu une faute dans sa copie.

— Tu comptes faire quoi là ? demanda-t-il.

— Ce que tu m'as demandé... Un feu.

— Je ne suis pas du genre à me vanter, mais mon expérience m'a appris qu'un feu ne durait jamais longtemps sans combustible. Donc, à part si tu veux brûler toute la forêt, je pense qu'il serait plus judicieux de se procurer du bois mort avant de lancer le moindre sort. Aller, viens. Allons en chercher avant que la nuit ne soit totalement tombée.

Bien que ce dernier aspect ne la dérange absolument pas, la jeune femme rangea tout de même son instrument et hocha la tête. Au moins, il allait l'aider dans cette tâche au lieu de rester assis à se tourner les pouces comme en était capable beaucoup de personnes qu'elle avait croisé lors de sa scolarité.

En un peu plus d'un quart d'heure, le démon et la beast revinrent au bord du chemin, les bras chargés de branches sèches et mortes. Syara choisit quelques branches et brindilles dans le tas et les entremêlèrent pour former une pyramide d'une quarantaine de centimètres. Elle posa ensuite son regard sur Telak qui l'invita à commencer l'exercice.

Une nouvelle fois, la violoniste fit apparaître son instrument et se positionna devant le tas de bois. Elle devait faire du feu, mais comment procéder ? Peut-être que ce qu'elle avait déjà accompli pouvait l'aider.

— Dis-moi. Est-ce que tu peux me rappeler la mélodie que j'avais jouée dans la salle d'entraînement pour faire apparaître ce pouvoir ?

— Si mes souvenirs sont bons, je dirais rapide et épique.

Après quelques secondes de réflexion, la jeune femme concocta mentalement une mélodie qui collait à ce que son mentor lui avait décrit. Une musique héroïque et entraînante se propagea à travers la forêt. Une simple écoute de cette mélodie pouvait faire parvenir, à quiconque l'entendait, des images de glorieux chevaliers, chargeant avec courage, épée à la main et bouclier levé, un puissant ennemi aussi terrifiant que maléfique.

Toujours les yeux rivés sur le tas de bois, Syara se concentrait autant sur la mélodie que sur sa cible. Au bout d'un certain temps, l'une des branches commença à bouger. L'apprentie mage se focalisa sur ce mouvement et intensifia le rythme de sa musique jusqu'à ce qu'enfin, le sort apparaisse.

De petites pousses de lierre sortirent soudain du sol et s'entortillèrent autour de la petite structure.

— C'est un bon début, commenta Telak.

Syara arrêta de jouer et regarda le démon de travers.

— Ne me regarde pas comme ça, ça n'était pas sarcastique. On ne sait pas comment marchent tes pouvoirs alors il est normal que tu aies du mal au début. En plus d'en cumuler cinq, ils sont tous différents les uns des autres. D'habitude, si une personne en a plusieurs, il y a toujours une certaine proximité entre eux.

— Comme toi avec la pierre et la terre.

— Exact, donc ne te décourages pas et recommence.

Emplie de confiance en elle, Syara recommença l'exercice depuis le début. Elle imagina une nouvelle mélodie dans le même genre que la première et l'exécuta une fois cette étape terminée.

Dans un monde où la musique régissait la magie, la beast n'était pas peu fière de ce don qu'elle avait. Déjà adolescente, ses professeurs ne pouvaient que s'extasier devant sa faculté à créer, en un rien de temps, des mélodies et à les jouer avec une facilité déconcertante, transportant en elles un large panel d'émotions.

La musique qu'elle décida de jouer faisait suite à la première. Les guerriers héroïques étaient à présent au corps-à-corps avec le monstre ténébreux. Ils tombaient les uns après les autres sous ses coups de griffes mais ne perdaient, malgré tout, ni espoir, ni courage et continuaient à marteler le monstre de leurs lames qui ne faisaient que ricocher sur son impénétrable carapace de chitine.

En dépit de cette scène apocalyptique, débordante de flammes et toute droite sortie du cauchemar de tout chevalier, le lierre enroulé autour des branches bourgeonnait et commençait même à fleurir.

Tout en continuant à jouer, Syara commença à se poser des questions. Pourquoi, malgré tout cela, le pouvoir des plantes sortait ? Comment marchaient ses pouvoirs si ce n'était par la musique elle-même ? Interprétait-elle mal ses propres mélodies ? Impossible ! Personne ne pouvait s'imaginer autre chose que des flammes dans les notes que le frottement de son archet avec les cordes de son violon faisaient résonner à travers la forêt.

Ses divagations lui firent perdre sa concentration, à tel point qu'elle ne remarqua que tardivement le mince filet d'eau qui suintait sur la petite pyramide. Il fallait qu'elle réagisse et vite, autrement, tout ce bois serait foutu !

La jeune femme continua à jouer avec une seule pensée à l'esprit : le bois ne devait plus s'humidifier. En un instant, un torrent d'eau glacée se déversa sur elle. Surprise, elle sursauta et ponctua ce geste d'un léger cri strident.

Détrempée et grelottante, la beast observa le tas de bois qui, miraculeusement, n'avait pas reçu une seule goutte de ce déluge involontaire. Elle reporta ensuite son attention sur son mentor qui tentait tant bien que mal, mais surtout mal, de cacher ce léger rictus qui allait bientôt se transformer en fou rire.

S'en était trop ! Elle était trempée, humiliée, n'arrivait pas à réussir ce stupide exercice et, cerise sur le gâteau, Telak recommençait à se foutre d'elle !

De rage et à bout de patience, l'apprentie mage appuya violemment le crin de son archet sur les cordes de son instrument, ponctuant ce geste d'un râle libérateur. Cela n'avait rien de mélodieux, mais le résultat dépassa toutes ses espérances. La pyramide s'embrasa instantanément de flammes qui montèrent, comme pour répondre à sa colère, bien plus haut que celles d'un feu de camp normal.

— Bravo ! acclama le démon en applaudissant. C'était fantastique ! Maintenant, viens te réchauffer auprès du feu, je m'occupe du reste.

Alors que les flammes rapetissaient pour atteindre une grandeur standard, Syara révoqua son violon et s'assit en tailleur au plus près du feu. Ce simple exercice l'avait exténuée, mais, au moins, lui avait donné un premier indice sur le fonctionnement de ses pouvoirs.  

Le violon de cristal: les partitions perduesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant