Chapitre 68 : Abandon (Telak)

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 Malgré leur aversion pour le feu, les élémentals de la forêt de Trelazar acceptèrent tout de même qu'un bûcher funéraire soit érigé pour les soldats et le mage tombés devant l'étrange porte. À l'extérieur de l'arbre mère, tous les habitants de la forêt rassemblèrent du bois mort en plusieurs tas et allèrent prévenir l'expédition lorsque tout était prêt.

Pendant tout le reste de l'après-midi, Mor et certains gardes préparèrent les corps des défunts et les transportèrent sur les bûchers alors que le jour commençait à décliner. Agrat resta un long moment devant l'assemblée, la torche à la main, et en tant que chef d'expédition, prononça l'éloge funèbre.

Alors qu'elle enflammait le premier bûcher, une voix se fit entendre. Une voix tremblotante, triste, brisée. Valana chantait son dernier au revoir à son mari et fut bientôt rejointe par tout le groupe qui, les yeux fixés sur les flammes et leurs compagnons qui partaient en cendres, leur souhaitaient bon voyage de l'autre côté.

Peu à peu, alors que seules les flammes éclairaient la plaine, les soldats entrèrent dans la ville pour aller se coucher tandis que le groupe de démons restait là, immobile devant le tas de bois où le corps avait totalement disparu. Tous avaient déjà perdu un compagnon en mission, tous sauf Valana. Telak était triste lui aussi, et quoi de plus normal puisque son meilleur ami était mort, mais il s'inquiétait plus encore pour la guitariste.

Continuer la mission n'était sans doute pas une bonne idée vu son état. Elle était la seule à pouvoir détecter les pièges magiques et, si elle n'était pas à ce qu'elle faisait, elle laisserait sans aucun doute un enfant orphelin derrière elle.

Au bout d'un long moment, les mages retournèrent à leur tout à l'intérieur de l'arbre. Ils commenceraient à explorer les tunnels à l'aube et une nuit de repos ne serait pas de trop.

En entrant dans la maison que les élémentals leur avait prêté pour qu'ils puissent se reposer, le chef des soldats demanda tout de suite à voir Agrat. Fatiguée, elle accepta tout de même et alla s'enfermer avec lui dans une des pièces vides.

— Nous partons, déclara le soldat.

— Pardon ?

— Nous partons. La mission est annulée, répéta-t-il.

— Je suis celle qui mène cette expédition et je suis la seule en mesure de dire si l'on abandonne ou non. Est-ce clair ? rétorqua-t-elle sèchement.

— Vous commandez peut-être cette expédition, mais mes hommes sont toujours sous mes ordres. Je ne suis pas venu pour vous demander la permission, nous partons, c'est tout. J'estime que les risques sont trop importants pour continuer. J'ai déjà perdu la moitié de mon escouade et nous ne sommes même pas encore entré dans la partie réellement dangereuse. On vous paye peut-être des sommes astronomiques pour explorer cette chose, mais nous, notre solde reste le même.

— C'est de l'argent que vous voulez ?

— La vie de mes hommes vaut bien plus que tout l'argent que vous pourriez réunir, même si vous aviez des fonds illimités. Ce ne sont pas des outils dont on peut se servir et les jeter. Ce sont des personnes qui ont une famille qui les attends chez eux, et je n'ai aucune envie de frapper à une cinquième porte à mon retour pour leur annoncer qu'ils ne les reverront plus jamais !

À mesure qu'il parlait, le soldat haussait la voix. Il était affecté par la mort de ses compagnons et faisait bravement face à la personne qui voulait envoyer ceux encore vivant à une mort certaine.

Pendant un instant, Agrat eut envie d'invoquer une dague et de lui planter dans la gorge pour lui apprendre à vouloir déserter. Elle se ravisa cependant lorsque la porte s'ouvrit et révéla Valana.

— Laisse-les partir, dit-elle calmement en s'approchant.

— Tu ne vas pas t'y mettre toi aussi !

— Ils n'ont théoriquement pas encore commencé leur mission, expliqua-t-elle. Tu leur as dit toi-même à la lisière de la forêt. Et puis, imagine que ce que l'on trouve à l'intérieur ne soit que des tunnels étroits ou un labyrinthe. Ils nous gênéraient plus qu'autre chose.

— Et ce pourrait très bien être des grandes salles où il est nécessaire d'être un maximum pour pouvoir passer. Si tu comptes sur des suppositions pour me faire changer d'avis, je peux très bien en faire autant.

— Dans ce cas, tu ne me laisses pas le choix. Si tu les enrôles de force, je refuse de venir.

— Je ne te savais pas adepte du chantage.

— Je suis déterminée à ce qu'ils fassent ce qu'ils veulent. Rien de bon n'arrivera derrière cette maudite porte si tu les envoies contre leur volonté. Pour ce genre de mission, il faut être prêt à risquer sa vie.

— Très bien. Cassez-vous, je ne veux plus vous revoir !

— Merci, dit le soldat, bien plus pour Valana que pour Agrat.

— Dites aux familles de ceux qui sont morts que je suis sincèrement désolé. Tout ce qui est arrivé est de ma faute, je pensais avoir réussi à ouvrir la porte, mais j'ai lamentablement échoué.

L'homme fit un signe de la tête pour signifier qu'il transmettrait le message et sortit de la pièce. Agrat jeta alors un regard noir à son acolyte et attendit des explications.

— Je n'ai pas à me justifier, rétorqua la guitariste. Sache juste que je préfère que nous y allions à quatre que de risquer qu'un de nous ne se retrouve avec une dague dans le dos.

A ses mots, Valana sortit de la pièce et laissa la chef de groupe seule. Elle ne le resta cependant pas longtemps. Telak entra à son tour et se posta devant elle.

— Tu veux te barrer toi aussi ? cracha-t-elle.

— Pas avant d'avoir fait en sorte que Grem ne soit pas mort en vain.

— Et donc ?

— Je m'inquiète pour Valana. Je ne sais pas si elle tiendra le coup à l'intérieur après ce qui vient d'arriver.

— Tu veux qu'elle reste à l'écart, c'est impossible ! Elle est la seule à pouvoir détecter la magie. Si elle n'est pas là, nous courrons à une mort certaine. Elle en est consciente et c'est pour cela qu'elle l'a utilisé comme chantage. Elle semble aussi déterminée à finir cette mission alors ne me demande pas de la laisser de côté.

— Très bien, souffla le démon. Dans ce cas, sache que j'ai à présent une mission qui passe avant celle-ci.

— Et qui est ?

— Il y a longtemps, Grem m'a fait promettre de protéger Valana si il lui arrivait quelque chose. Je respecterais cette promesse. Pour moi, sa vie passera désormais avant la mission.

Sans dire un mot, Agrat parcourut les quelques mètres qui la séparait de la porte et bouscula Telak sur le chemin. Elle traversa le salon et ouvrit la porte d'entrée de la maison, prête à partir.

— Où vas-tu ? Demanda Mor.

— Je vais prendre l'air. Vous me faites tous chier ! hurla-t-elle avant de s'envoler.

Le batteur, étonné, rejoignit le bassiste en quête de réponse.

— Elle finira par se calmer et reviendra. Aller, demain est un jour important, essayons de trouver le sommeil, annonça-t-il avant de s'enfermer dans une chambre.

Demain serait un grand jour, répéta Telak dans sa tête, allongé sur son lit. Demain, il pourrait venger la mort de son ami.

Le violon de cristal: les partitions perduesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant