Chapitre 27 : Deux présences

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Arrivée au pied du mur, Syara ne put qu'être époustouflée par l'imposante structure. Culminant à plus de quarante mètres de haut, d'incessants chocs se faisaient entendre à un rythme régulier. Les deux mages grimpèrent l'escalier collé au mur qui permettait de monter au sommet et découvrirent, à cet instant, quel menace pesait réellement sur la ville. D'immenses vagues s'écrasaient sur le rempart et léchaient presque les pieds des mages qui se tenaient sur la muraille et emportaient, à chaque assaut, des pans entiers de pierres, immédiatement remplacés par la magie des protecteurs de la ville.

— C'est... commença Syara.

— Apocalyptique, souffla Telak.

La beast hocha la tête, elle ne pouvait pas trouver de terme plus adéquat. Le rempart tremblait sous ses pieds et semblait menacer de s'effondrer après chaque vague.

Alors qu'elle fixait l'océan déchaîné, une myriade de sentiments la traversèrent. En un instant, la violoniste ressentit de la rage, de la colère, de la détermination. Mais aussi de la tristesse et du désespoir.

Bien qu'avoir ses sentiments était parfaitement cohérent vu la situation, ses derniers disparurent instantanément lorsqu'elle détourna son regard de cet impressionnant spectacle. Était-il possible que ? Les paroles de l'aubergiste lui revinrent immédiatement en tête. « qu'importent les pouvoirs que vous octroie le statut de mage, l'empathie est de loin la plus puissante de vos facultés ».

— Tu sais ce qui te reste à faire, entendit-elle.

— Tu as dit quelque chose ? Demanda Syara.

— Non, pourquoi ?

La beast jeta un œil aux alentours et se rendit compte que seul Telak se trouvait à côté de lui. La personne la plus proche après lui était bien trop occupé à maintenir le rempart et était, de toute façon, hors de portée de voix.

Syara scruta de nouveau l'étendue d'eau et ne put qu'en conclure une chose. Les sentiments qu'elle ressentait venaient de l'océan.

— Il faut que j'essaie quelque chose, déclara-t-elle d'un air déterminé en invoquant son instrument.

— Je ne sais pas ce que tu as à l'esprit, mais fait bien attention à ne pas endommager le mur, prévint le démon.

La beast s'enferma dans sa bulle pour faire abstraction de tout ce qui se passait autour. Elle n'entendait plus le vacarme qui l'entourait, ne voyait plus rien, ne sentait rien mise à part une présence. Non, deux présences. La première, à ses côtés, se voulait rassurante et amicale. Elle était cependant différente de Telak. Qui était-ce ? Ça n'avait pas d'importance pour le moment, ce qui importait était celle tapie au fond de l'océan. Celle-ci était enragée, prête à raser la ville au moindre signe de faiblesse. Malgré ça, Syara ressentit une nouvelle fois sa détresse et son chagrin. Cet être n'était pas mauvais, elle le savait, mais quelque chose l'avait rendu ainsi.

— Aies confiance en toi, suis ton instinct, susurra la présence inconnue.

Son instinct ? Excepté lui dire de fuir cette ville au plus vite, son instinct ne lui disait pas grand-chose.

— Tu te mens à toi-même, ça n'est pas ton instinct qui te dit de fuir, mais ta peur. Continu et tu trouveras la solution.

Cette situation était de plus en plus étrange. Elle n'avait absolument rien dit et la présence l'avait tout de même compris. Lisait-il dans ses pensées ?

— Toutes les réponses seront dévoilées en temps voulu. La seule chose que tu as besoin de savoir sur moi, c'est que je suis de ton côté. Pour le moment, focalise-toi sur l'instant présent.

Si cette chose était énervée, peut-être pouvait-elle la calmer ! Sans ouvrir les yeux, Syara approcha l'archet de son violon et commença à jouer. Avec cette mélodie, la violoniste s'imagina une mer calme, tranquille, apaisante. Une douce odeur iodée parvenait à ses narines, non pas omniprésente comme elle l'était en haut du mur, mais délicate et vivifiante comme sur une plage isolée.

Sa mélodie avait touché la créature, elle le sentait troublé par les émotions qu'elle lui insufflait. Cependant, après quelques minutes, sa colère grandit de plus belle et explosa. Le lien qu'elle avait tissé entre eux se brisa en même temps que sa concentration. Syara eut juste le temps d'ouvrir les yeux pour voir un puissant geyser foncer droit sur elle, perforer le bouclier de vent et la heurter de plein fouet.

Propulsée en arrière, la beast se rendit rapidement compte de la situation précaire dans laquelle elle se trouvait. Cette attaque l'avait poussée hors de portée du rempart et une chute de plus de quarante mètres l'attendait.

Telak déploya immédiatement ses ailes pour voler à son secours, mais elle savait qu'il était bien trop loin, elle savait qu'il n'arriverait pas à temps. La paroi de l'immense muraille défilait à mesure qu'elle se rapprochait du sol et le démon n'arrivait pas à réduire l'écart qui les séparait.

Alors qu'elle sentait sa dernière seconde arriver, sa chute se fit de plus en plus lente. Plusieurs tourbillons de vent encerclaient ses poignets, sa taille et ses chevilles et la ralentirent juste assez rapidement pour qu'elle puisse se poser à terre, indemne.

— Eh bien, c'est une sacrée chute, commenta un mage qui s'approchait de la rescapée. Vous avez glissé ou l'envi de se suicider vous est passé par la tête ?

— C'est vous qui m'avez sauvé ?

— Je n'allais tout de même pas vous laisser vous écraser ainsi. Il y a déjà assez de travail ici sans avoir à nettoyer les corps éclatés de ceux qui tombent, plaisanta-t-il.

— Merci de l'avoir sauvé, intervint Telak en atterrissant auprès de son élève.

— Oui, merci beaucoup.

— Pas de quoi. Je me présente, Rael, mage de rang cinq, affilié à l'air et affecté à ce secteur pour maintenir le bouclier en place.

À peine plus petit que Syara, l'elfe noir devant elle lui tendait une main dans l'espoir d'être salué à son tour. Syara en fit de même et se rendit compte, en lui serrant la main, que cette dernière n'était pas faite de chair, mais de métal. Un elfe noir cyber, conclut-elle.

— Enchanté. Syara, mage de rang neuf, affilié à tellement de pouvoirs que je ne les contrôle pas encore très bien et affecté à rien du tout après avoir envoyé chier les dirigeants de l'opération.

— Une novice qui envoie balader des rangs deux, si seulement j'avais été là pour le voir, rétorqua-t-il, un sourire malicieux aux lèvres. Et si vous m'expliquiez plus en détail ce qui vous a valu cette chute ? C'est justement l'heure de ma pause et j'ai le pressentiment que tout ça n'avait rien à voir avec une soudaine envie de se donner la mort ou à une maladresse.

Raconter ce qui venait de lui arriver ? Pourquoi pas, cela lui permettrait de remettre de l'ordre dans ses pensées. De plus, la beast sentait qu'elle pouvait avoir confiance en ce Rael. Et ce, même s'ils venaient tout juste de se rencontrer.

Le violon de cristal: les partitions perduesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant