Chapitre 118 : confession

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— Syara ? Mais, comment ? articula la demi-dragonne.

— Phi m'a aidée à traverser, expliqua-t-elle.

— Phi ?

Pour toute réponse, la violoniste appuya son regard sur la petite fée qui volait devant elle. Comprenant où elle voulait en venir, Elyazra sourit légèrement en pensant à une blague, puis rit clairement en s'apercevant que son amie était sérieuse. Les propos de Shay avaient donné l'impression à la beast que lui rendre visite quand elle était dans cet état-là était au péril de sa vie, pourtant elle semblait aller bien et ne pas être fâchée contre quiconque.

— Je suis désolée de te déranger alors que tu veux être seule, commença tout de même la violoniste. Mais je m'inquiétais un peu de ne pas te voir revenir.

— Tu n'as pas à t'en faire. C'est juste que j'ai parfois besoin de m'isoler un peu et que ça faisait longtemps que je ne l'avais pas fait. Retourner ici était une bonne occasion.

— Je croyais que c'était parce que tu en voulais à Shay pour ce qu'il avait fait.

— Ça n'est qu'une chose parmi tant d'autres. Au final, je suis plutôt contente qu'il ait pris cette décision pour moi. S'il ne l'avait pas fait, je ne serais jamais allée à Léfarène, je n'aurais jamais découvert cette merveilleuse boisson qu'est la bière et surtout, je ne t'aurais jamais rencontrée. En plus, ton appartement est plutôt confortable.

Si ce dernier point fit d'abord sourire Syara, cela lui rappela aussi qu'elle n'avait même plus assez d'argent pour le garder et que la mission qu'avaient donnée les alchimistes devait régler ce problème. Vu qu'il était hors de question de leur remettre le fameux ingrédient, elle devrait vite trouver un nouveau travail si elle ne voulait pas retrouver ses affaires sur le trottoir. Malheureusement, Shay avait apparemment d'autres plans pour elle et il y avait de fortes chances qu'elle ne soit pas rémunérée pour son temps. Il faudrait qu'elle lui en parle à son retour, mais pour le moment, le plus important était de convaincre Elyazra de revenir.

— Dans ces cas-là, si tu n'es pas fâchée, pourquoi as-tu créé un tel obstacle ?

— Ce n'est pas un obstacle. Je me sens bien entourée de ces flammes. Je ne sais pas vraiment comment t'expliquer, mais lorsque j'ai besoin de réfléchir, je m'entoure totalement d'elles et perds mon regard à l'intérieur. Quand je ne vais vraiment pas bien, je plonge dedans.

— Et ça ne te fait pas mal ?

Elyazra posa son regard sur sa main et y fit apparaître une flamme qui la recouvrit totalement. Le feu s'étendit ensuite à son bras, puis à tout son corps avant de faiblir et totalement disparaître.

— Je peux ressentir la chaleur d'une flamme normale, même si elle ne me brûle pas. Mais les miennes ne sont même pas chaudes pour moi. Et pas la peine de me demander pourquoi mes vêtements ne brûlent pas non plus, je n'en sais rien moi-même.

Suite à cette remarque, toutes deux rirent un peu sous le regard interrogateur de Phi qui ne comprenait pas ce qu'il y avait de drôle dans ces paroles.

— Qu'est-ce que tu ressens quand tu te trouves comme ça, entourée ou baignant dans tes flammes ?

— Je suis apaisée, j'ai l'impression d'être à ma place. C'est comme s'il y avait une présence réconfortante à l'intérieur et qu'elle trouvait toujours la bonne chose à faire pour que je me sente mieux. En fait, c'est une sensation difficile à décrire.

— Comme si tu te trouvais dans les bras de tes parents alors que tu es petite ?

— Oui... Maintenant que tu le dis, c'est un peu similaire à cette sensation. Mon père ne me prenait que très peu dans ses bras, mais lorsqu'il le faisait, je me sentais exactement pareil. C'est sans doute parce que ce sont un peu ses flammes que je me sens comme ça lorsqu'elles m'entourent. Merci de me l'avoir rappelé.

Sachant à présent qu'elle ne risquait absolument rien, Syara s'approcha d'Elyazra et escalada le rocher sur lequel elle était posée pour la rejoindre et s'asseoir à ses côtés. De là, elle pouvait voir l'étendue de feu noir que la demi-dragonne avait créée. Elle dut admettre que, même sans aucune affinité avec cet étrange élément, elle trouvait que la danse de ces flammes avait quelque chose d'envoûtant.

— Comment étaient-ils ? finit-elle par demander.

— Qui ? Mon père ? Je l'ai quitté alors que je n'avais que dix ans, mais je me souviens qu'il était gentil et ne s'énervait jamais contre moi, mais d'un autre côté, il était souvent distant et, même à cet âge, je pouvais voir de la tristesse dans ses yeux.

— Et ta mère ?

— Je ne sais pas, je ne l'ai pas connue et mon père n'a jamais voulu m'en parler. C'est sans doute parce qu'elle était liée à cette tristesse que je lisais chez lui et qu'aborder le sujet le faisait trop souffrir, supposa-t-elle. Et toi ? Tes parents ont dû être fiers que tu deviennes mage.

— Pas vraiment. Ma mère était un vrai tyran et même aujourd'hui je la déteste encore.

— Comment peut-on en vouloir à sa propre mère ? Moi, je rêverai de connaître la mienne.

— Elle était froide, toujours à vouloir de moi l'excellence au premier essai et me punissait si je n'arrivais pas à faire ce qu'elle demandait. Je ne compte même plus le nombre de fois où je me suis retrouvée dans ma chambre sans manger, ou enfermée à l'intérieur, ou bien obligée de dormir par terre parce qu'elle avait trouvé que me retirer mon lit était une juste punition. Elle n'avait rien d'une mère.

— Et ton père ?

— Vu que ma mère s'occupait de planifier chacune de mes journées, je ne le voyais presque pas. Il s'écrasait toujours devant elle et ne contestait jamais ses décisions. En fait, ma mère est humaine et mon père est un beast, c'est pour ça que j'ai autant de traits humains. Elle devait sans doute le considérer comme un chien obéissant, rien de plus.

— Tu t'es enfuie ?

— Pas vraiment. Jusqu'à mes huit ans, je n'avais jamais mis les pieds hors de chez moi, mais un jour, mon père en a sans doute eu assez et m'a prise avec lui. Il m'a emmené à Symphonia, l'école où j'ai fait mes études, puis est partie sans laisser de traces en me laissant seule.

— Ça n'a pas dû être facile, compatit Elyazra.

— Toutes ses années persécutées par ma mère m'ont grandement affectée. D'abord, j'étais comme un animal apeuré par le moindre bruit, timide et discrète, ce qui engendrait moqueries et blagues de la part des autres élèves. Et puis, un jour, je me suis rendue compte que j'étais capable d'étaler un élève bien plus vieux d'un seul coup de poing et j'ai compris que je n'étais sans aucun doute pas la plus faible dans cette école. J'ai alors commencé à m'affirmer et voilà comment est née la Syara qui se tient devant toi.

— Et c'est donc à cause de cette histoire avec tes parents que tu ne veux pas donner ton nom ?

Devant cette question, la beast parut surprise. Elle ne lui avait jamais parlé de ça et le seul moment où elle l'avait évoqué, elle ne se trouvait pas à côté d'elle. De plus, en y réfléchissant bien, elle n'avait jamais parlé à qui que se soit de son passé, pas même à Kuta qui s'était le plus rapproché d'une famille pendant ses études.

— J'ai l'ouïe fine, expliqua la demi-dragonne. Je t'ai entendue depuis l'autre bout de la salle lorsque nous étions au hall des musiciens.

— Je ne connais même pas le nom de famille de mon père et, vu ce qu'elle m'a fait, je ne veux pas porter celui de ma mère, voila tout... Je crois que j'en ai assez dit sur moi, je n'aimerais pas rouvrir des blessures qui ont mis si longtemps à cicatriser.

— Comme tu veux. Merci de t'être confiée à moi.

— Et merci à toi d'en avoir fait de même.

Le cœur plus léger d'avoir pu parler chacune de leur passée, les deux jeunes femmes décidèrent de retourner auprès des autres. Elyazra éteignit toutes les flammes d'un simple geste de la main et descendit de son perchoir avec la violoniste pour retourner vers la demeure du dragon.

Le violon de cristal: les partitions perduesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant