Chapitre 45: conséquences d'un mauvais choix

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Après avoir mis en fuite les bandits, Syara remonta sur son destrier et repartit, sans dire un mot, en queue de caravane.

Telak avait tellement été surpris par son geste contre les malfrats qu'il n'avait même pas pensé à réagir. Il était resté là, sur sa monture, à l'observer fracasser le crâne de quelqu'un sans intervenir.

À dire vrai, il avait l'impression que cette étrange stupeur avait atteinte ses adversaires et les avait empêchés de riposter. Était-ce un autre de ses pouvoirs innés ? Le démon voulait lui poser tant de questions, cependant, vu le silence qu'elle avait gardé, elle ne semblait pas encore prête à se confier.

— Elle m'inquiète, avoua le grand-père.

— Ne vous en faites pas, elle ne s'en prendrait pas à des innocents. Même là, elle les a laissé partir sans en tuer un seul.

— Je ne m'inquiète pas pour moi, mais pour elle. Depuis le départ, elle se mure dans son silence et garde ses yeux vissés sur ses rennes. Toute cette colère, toute cette rage qu'elle a déversée sur cet homme... Je me rends compte à présent qu'elle se sent bien plus responsable de ne pas être arrivé à temps que je ne le croyais et qu'elle intériorise trop ses sentiments. Si elle continue ainsi, ce que nous venons de voir ne sera qu'un prélude à ce qui se passera lorsqu'elle explosera de nouveau. Vous êtes son ami, son compagnon de route, pourquoi n'allez-vous pas lui parler ?

— Parce que je sais ce qui va se passer. Je vais lui demander si ça va, elle va me rétorquer qu'elle ne dira rien tant que je ne lui aurais pas raconté ce qui s'est passé au pied des montagnes, je vais refuser et elle va s'énerver.

— Vous ne m'avez pas non plus révélé ce qui est arrivé.

— Ne m'en voulez pas, mais je préfère garder cela secret le temps que je sache exactement si cela peut représenter un danger ou non.

— J'ai tenté cette nuit d'avoir des visions de l'affrontement, avoua-t-il. Rien. Je n'arrivais pas à approcher de la chaîne d'Hara.

— C'était déjà le cas avant que nous ne revenions de Sendra, rétorqua le bassiste.

— C'est vrai, mais les sensations étaient différentes. Lorsque je cherchais mes amis, je frissonnais de peur avant que la vision ne s'arrête. Là, j'avais l'impression que tout espoir était perdu et que le monde allait sombrer dans une noirceur jamais atteinte.

— Raison de plus pour garder le secret, conclut Telak.

La caravane continua sa route jusqu'au soir. Le bassiste trouva un renfoncement dans la lisière de la forêt et y fit pénétrer les charrettes une à une. L'endroit, circulaire et spacieux, était protégé du vent par les arbres. C'était un lieu idéal pour monter un camp et passer la nuit.

Alors que Telak s'attelait à faire démarrer un feu, le grand-père vit, pendant qu'il aidait les enfants à descendre des voitures, la beast s'éloigner dans les bois. Une fois que tout le monde eut posé pied à terre, il attendit un instant pour être sûr de ne pas la déranger à un moment inconvenant et partit à sa recherche.

Il la retrouva, une centaine de mètres plus loin, accroupie près d'une source, les mains plongées dans l'eau fraîche.

— Est-ce que tout va bien ? Demanda-t-il.

Syara sursauta. Trop absorbée par ce qu'elle faisait, elle n'avait pas fait attention à ce qui l'entourait. Cela faisait bien longtemps qu'elle n'avait pas été surprise ainsi. En toute hâte, elle retira ses mains de l'eau et les cacha derrière son dos en se relevant.

— Tout va bien, je me rafraîchissais juste un peu, répondit-elle.

La jeune femme allait rejoindre le camp, mais le grand-père lui barra la route.

— Faites voir vos mains.

— Quoi ? Vous croyez que j'ai volé quelque chose ? plaisanta-t-elle.

N'appréciant pas ses cachotteries, l'homme lui prit brusquement le bras et la força à montrer ses mains. Ce geste arracha à la violoniste une grimace de douleur, immédiatement suivie par une mine désolée. Ses mains étaient enflées et elle n'avait pas eu le temps de nettoyer tout le sang.

— Faites voir l'autre main, ordonna le vieil homme.

Syara obéit et la sorti de derrière son dos. Six de ses doigts arboraient une teinte violette et chaque phalange était parsemé de coupure et de peau arrachée.

— Pourquoi n'avez-vous rien dit ?

— Ça n'aurait rien changé...

— Bien sûr que si ! Nous avons des médicaments, des bandages et des pommades contre la douleur. Vous allez me faire le plaisir de me suivre et de me laisser vous soigner.

La beast avait l'impression de n'être qu'une gamine qui avait fait une bêtise et s'était mise en danger. Elle se faisait réprimander par un adulte, mais bien au-delà des reproches, elle sentait l'inquiétude dans sa voix et son regard.

Elle suivit docilement le vieil homme jusqu'à la charrette remplie de fourniture et le laissa examiner plus amplement ses blessures. Quatre de ses doigts étaient cassés et deux autres presque aussi abîmés. Elle n'avait plus assez d'énergie pour utiliser un sort curatif et ne pouvait de toute façon rien faire avec des mains dans cet état-là

Patiemment, le grand-père appliqua plusieurs pommades et plantes désinfectantes et anesthésiantes sur les membres meurtris, joignit les doigts cassés à ceux encore intact, apposa des attelles et banda le tout. Au final, sa main droite était totalement inutilisable et la gauche était fortement entravée.

Alors qu'il préparait à manger, Telak jetait des regards compatissants à son acolyte qui s'était isolée, assise contre un arbre. Elle détestait que l'on s'occupe d'elle, que sa faiblesse soit le centre de l'attention. Depuis qu'elle était devenue mage, sa carapace de dure à cuire n'avait cessé de voler en éclats pour révéler ce qu'elle était vraiment. Elle se sentait pitoyable. Elle avait promis aux enfants qu'elle les protégerait pendant ce voyage et voilà qu'elle devenait inutile, presque un poids, après le premier obstacle. Ce sentiment en tête, Syara s'endormit enroulée dans sa couverture, sans prendre la peine de manger quoi que ce soit.

Le violon de cristal: les partitions perduesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant