Chapitre 23 : Le village humain

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Dans ce monde hostile, les habitants, quelle que soit leur race, préféraient de loin la sécurité des villes aux calmes des villages. Ces derniers étaient donc rares et bien souvent très proches des grandes cités. En trouver un là, qui plus est uniquement peuplé d'une seule race, ne pouvait que susciter la méfiance chez les deux mages.

Le temps semblait passer au ralenti. Que se soient les voyageurs ou les habitants, personne n'osait bouger ou parler.

— Y a-t-il un problème ? demanda quelqu'un après plusieurs secondes interminables.

L'homme, d'un certain âge au vu de ses cheveux et de sa courte barbe grise, venait de désamorcer, par sa seule présence, toute crainte dans les yeux des villageois.

— Bonjour, salua Telak. Excusez-nous de faire irruption ainsi dans votre village, mais nous étions en route pour Sendra et un imprévu nous a détourné de notre route.

— Des mages ? s'étonna l'homme. Pourquoi n'utilisez-vous pas les téléporteurs pour rejoindre cette ville.

— Vous n'êtes pas au courant ? Sendra est sur le point de se faire engloutir par les eaux. Les portails ne marchent plus là-bas, expliqua Syara.

Le vieil homme posa son regard sur la violoniste et fut immédiatement pris de stupeur. Lentement, il s'approcha de la beast en la contemplant de la tête aux pieds.

— C'est... Impossible. Kassi ? Est-ce que c'est toi ?

Troublé, il approcha lentement sa main du visage de la jeune femme. À cet instant, Syara hésitait entre le laisser faire ou lui arracher un doigt avec les dents. Son choix se porta cependant sur une troisième option. Elle n'avait pas envie qu'il la touche, mais elle avait aussi vu trop de sang aujourd'hui.

— Excusez-moi, mais je ne suis pas Kassi.

L'homme retira sa main et bougea lentement sa tête de gauche à droite. Il semblait se réveiller d'un songe et regagner peu à peu ses esprits.

— Je, je suis désolé, bafouilla-t-il. Je suppose que vous venez en quête d'hospitalité.

— C'est bien cela, confirma le démon. Nous pouvons payer bien évidemment.

— L'argent n'a que peu de valeur ici. Je suis d'une nature curieuse et aime les histoires. Racontez-moi plus en détail ce qui vous a fait détourner de votre route autour d'un repas et vous pourrez dormir chez moi.

— Pourquoi pas. Cela me fera du bien de parler à quelqu'un d'autre. Avec elle, à chaque fois que j'ouvre la bouche, j'ai peur de m'en prendre une, chuchota le démon, juste assez fort pour que la beast l'entende.

— Hé ! Si tu n'étais pas aussi insuppor...

—Je vous en pris, ne vous disputez pas ici, coupa le vieil homme avant de se retourner vers les autres villageois. Mes amis, ces personnes sont mes invités, vous n'avez rien à craindre.

D'un signe de la main, l'homme invita les deux mages à le suivre. Il les mena à son domicile et leur pria de prendre place à sa table. L'intérieur de la petite chaumière n'était que très peu décoré. Une étagère sur laquelle trônait quelques vieux ouvrages, un buffet à vaisselle, un fauteuil installé devant la cheminé, une table et quatre chaises. Voilà tout ce que contenait la pièce à vivre qui ne devait habituellement accueillir que cet homme, pensa Syara.

L'hôte sortit une étrange bouteille opaque et en servit trois verres. Prudente, la beast examina attentivement le liquide avant de faire quoi que se soit. D'une couleur bordeaux, une simple inspiration des vapeurs d'alcool qui en émanait brûla son nez délicat. Appliquer ce breuvage sur une plaie devait, sans aucun doute, la désinfecter définitivement.

Telak, lui, ne fit pas passer à son verre une telle batterie de tests et bu une bonne lampée du breuvage.

— C'est délicieux, constata-t-il.

Si l'alcool lui avait brûlé la gorge, le démon n'en laissait rien paraître. Et ce commentaire, était-il sérieux ou disait-il ça par politesse ? Il n'y avait qu'une seule façon d'en avoir le cœur net.

La beast trempa légèrement ses lèvres dans le breuvage et ne put que constater que son mentor avait raison. Étrangement, elle n'avait pas l'impression de boire de l'alcool, mais une boisson légère avec un goût prononcé de fruits rouge.

— Alors, quelle est donc cette chose qui vous a détourné de votre route ? Et que se passe-t-il à Sendra ? demanda l'homme pendant qu'il dressait la table et remplissait les assiettes.

Telak débuta l'histoire par la situation critique de la ville portuaire puis enchaîna sommairement sur leur voyage. Il s'attarda cependant leur rencontre avec le réfugier et sa requête. Enfin, le démon expliqua comment ils avaient chassé les bandits et récupéré les objets volés. L'hôte n'avait pas perdu une miette du récit et avait gardé questions et remarques pour la fin.

— Il arrive que des voyageurs campent à cet endroit. Savoir que ceux-là étaient en fait des bandits me fait froid dans le dos. Les avez-vous chassé définitivement ?

— Nous leur avons donné une leçon, mais ils se sont enfuis ? À présent, ils savent que la route est protégée. Cependant, rien n'indique qu'ils aient quitté la forêt, expliqua le bassiste.

— S'ils restent dans les parages, cela pourrait poser problème. La grande chasse annuelle va bientôt débuter et le village sera vulnérable.

— La grande chasse ? répéta Syara.

— C'est une tradition. Une fois par an, tous les adultes du village partent dans les plaines afin de refaire les stocks de nourriture. Ses terres sont hostiles alors chasser ensemble le moins souvent possible minimise les risques.

— Les enfants restent au village ? Livrés à eux-mêmes ? s'étonna la violoniste.

— En tant qu'ancien, je reste avec eux pour m'assurer que tout va bien. Et puis, les adolescents sont aussi là pour m'aider.

— Drôle de tradition, mais je peux très bien comprendre, commenta Telak.

— Si ça n'est pas trop indiscret, pourquoi tous les habitants de ce village sont humains ?

— Étrange n'est-ce pas ? Et pourtant, cela n'est dû qu'au hasard. Nous avons déjà eu des habitants non-humains dans le village, mais ils ne sont jamais restés longtemps. Ce point reste obscur, même pour nous.

— Étrange en effet. Peut-être qu'un sort est à l'œuvre. Cependant, en tant que démon, je ne ressens absolument rien.

Syara s'apprêtait à intervenir, mais un bruit étrange à l'extérieur la sortit de la discussion. Des personnes se rassemblaient devant la porte de leur hôte. Ils étaient nombreux et semblaient hésiter à intervenir. Dans quel pétrin s'étaient-ils encore fourrés ? Elle savait bien qu'un village peuplé uniquement d'une seule race n'augurait rien de bon.

— Un problème ? remarqua l'homme.

— À vous de me le dire, pourquoi y a-t-il autant de monde devant chez vous ? rétorqua-t-elle, suspicieuse.

Intrigué, l'ancien se leva et alla ouvrir. À sa porte, une dizaine d'enfants attendaient dans l'espoir d'avoir quelque chose.

— Papy ? Il va y avoir une histoire ce soir ? questionna l'un d'eux, hésitant.

Juste des enfants, elle s'était encore faite des idées pour rien.

— Bien sûr, à moins que mes invités n'en décident autrement.

Pour toute réponse, Syara et Telak hochèrent les épaules.

— Bien ! Alors allez vous installer, j'arrive.

Fous de joie, les enfants détalèrent vers la place centrale, leur course accompagnée de cris de victoire et de rires.

— Bon, et bien il semblerait que ce soit à moi de raconter quelque chose. Venez si vous voulez, vous apprendrez peut-être quelque chose, proposa-t-il avec un clin d'œil avant de sortir de chez lui.

Une histoire ? Pourquoi pas, cela leur changerait les idées. Ce petit village semblait, en fin de compte, très accueillant et convivial. Un lieu paisible au cœur du danger.

Le violon de cristal: les partitions perduesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant