Chapitre 110 : Noyer sa rage

1.5K 212 38
                                    

Sincèrement inquiet pour la vie de son ami, Fos avait couru aussi vite que possible pour rejoindre la place où devait avoir lieu le départ. Le destin, ou l'ironie, avait fait qu'il était arrivé sur les lieux juste à temps pour voir le portail que venait d'emprunter l'expédition se refermer sous ses yeux. Il était trop tard. S'il était vraiment partie pour la mission dont avait parlé le conseil, son ami était d'ors et déjà perdu.

Toute sa rage, sa frustration et son sentiment d'impuissance sortirent en un cri qui se voulait libérateur, mais qui, au final, ne le fit pas se sentir mieux.

— Toi ! grinça-t-il entre ses dents en se retournant vers Shay qui l'avait suivi dans sa course. Tu l'as fait exprès. Tu m'as éloigné de Ritz pour que je n'ai pas mon mot à dire lorsqu'ils viendraient le chercher !

— Ne soit pas stupide ! Quel intérêt j'aurai eu à envoyer ton ami au front ? Je ne suis pas sous les ordres du conseil.

— En parlant d'eux, j'ai deux mots à leur dire, rétorqua Fos avec un regard noir.

D'un pas décidé, le violoniste se dirigea vers le bâtiment où se réunissait le conseil. Si Fos était sorti aussi tôt, c'était uniquement parce que les autres affaires qu'ils devaient traiter étaient propres aux autres races. Ça n'était pas parce qu'il ne s'impliquait pas pour elles, mais surtout parce qu'il ne comprenait pas, la plupart du temps, le problème qui était soulevé. Après tout, leurs cultures étaient bien différentes de la sienne.

Arrivé devant le bâtiment, Fos ouvrit la porte avec force et faillit la sortir de ses gonds. Il arpenta rapidement les couloirs et escaliers, toujours suivi de près par Shay, et entra dans la salle de réunion sans même penser à s'annoncer.

— Fos ? Tu as oublié quelque chose ?

— C'est vous qui avez oublié quelque chose ! hurla-t-il. Il me semblait qu'il fallait que le conseil soit unanime pour envoyer les troupes à l'assaut des points stratégiques majeurs !

— Nous avons voté. Tu ne devais juste pas être là lorsque ça s'est fait, répondit calmement un autre membre du conseil.

— J'étais présent, contredit-il. Et farouchement opposé à ce plan stupide !

Fos bouillait de l'intérieur. Il était prêt à exploser et se demandait ce qui l'empêchait d'empaler ces enfoirés sur place. La seule chose qui le retenait était sans aucun doute la présence de Shay à ses côtés. Savoir qu'un dragon pouvait l'empêchait d'agir à sa guise était la seule chose qui leur sauvait la vie.

Même s'il l'avait vaincu lors de leur duel, il y avait fort à parier que Shay n'était pas sérieux. Il n'avait d'ailleurs tenté aucune attaque pendant l'affrontement.

— Vous savez quoi ? Ne comptez plus sur moi pour être votre marionnette. Vous voulez fédérer les humains ? Alors démerdez-vous, ça sera sans moi !

À ces mots, le violoniste tourna le dos et repartit en claquant la porte, laissant Shay avec eux. Tout en marchant à vive allure, les idées fusaient dans sa tête. Des idées noires. Rébellion, assassinat, complot. Autant de termes qui ne cessaient de revenir. Après tout, ça ne devait pas être compliqué. Ils se réunissaient toujours dans ce bâtiment délabré. Personne ne se poserait de question s'il s'effondrait sur leur tête.

Perdu dans ces pensées malsaines, Il se dirigea machinalement vers le quartier abandonné. Celui-là même qu'il avait un peu plus rasé plus tôt dans la journée. Après avoir enjambé les barrières d'interdiction, il traversa quelques rues et entra dans un appartement du rez-de-chaussée d'un immeuble par le trou béant qu'il y avait dans le mur.

Une fois à l'intérieur, le violoniste se mit à fouiller dans tous les placards à la recherche de quelque chose. C'est dans un meuble de ce qu'il devinait être la cuisine qu'il trouva son bonheur. Il se saisit de la bouteille d'alcool qu'avait laissé l'ancien locataire de l'appartement, ressortit et entra dans le bâtiment d'en face.

Celui-ci, bien que dangereusement endommagé, tenait encore debout et dépassait les autres ruines. Sans se soucier du fait qu'il pouvait s'effondrer à chaque instant, chose qui n'était pas si rare dans ce quartier, Fos grimpa jusqu'au dernier étage, enfonça la porte d'un autre appartement et entra à l'intérieur. Comme pour le premier, celui-ci avait été éventré. Il s'approcha du bord, s'assit en faisant pendre ses jambes dans le vide, dévissa le capuchon de la bouteille et but une grosse gorgée directement au goulot.

— Ha, te voila enfin, souffla Shay depuis l'entrée.

Une nouvelle fois, le violoniste ne l'avait ni vu arriver depuis la rue, ni entendu monté, ni senti approcher. Mais qu'importe, ça n'était pas le bon moment pour le déranger.

— Casse-toi !

— Tu ne comptes pas sauter j'espère...

— J'ai dit... Casse-toi ! hurla-t-il. Si tu es inquiet pour moi, alors ne t'en fait pas. Ma mort ferait bien trop plaisir à ces enfoirés pour que je saute.

Lentement, le dragon s'approcha de lui puis, après être resté debout un instant, l'imita et s'assit à côté.

— C'est un bon endroit, il y a une belle vue...

— Sur des ruines, finit Fos, amère. Et venant d'une chose qui peut voler, je trouve cette remarque stupide.

— ... Mais il y a d'autres endroits qui sont bien mieux pour boire, continua-t-il, comme s'il n'avait pas entendu la remarque.

— Je ne bois pas, je rends hommage à mon ami, mort à cause de la stupidité des connards qui dirigent cette région. Dans certains films, lors des enterrements, les personnages boivent la boisson préférée du défunt et en versent un peu sur sa tombe, expliqua-t-il en vidant une partie de la bouteille depuis son perchoir.

— Il n'est peut-être pas encore mort. Cela ne fait même pas une heure qu'il est parti.

— Ça n'est qu'une question de temps, rétorqua Fos en buvant de nouveau.

— Ton ami aime ce breuvage ? s'étonna-t-il en le voyant grimacer après sa rasade.

— Non, il la déteste, mais je n'ai trouvé que ça.

— Après ton départ, j'ai parlé au conseil. Ils sont prêts à entendre ton plan.

— Mais moi, je ne suis pas prêt à leur parler.

— Je sais que ça n'est pas facile après le coup qu'ils t'ont fait, mais imagine qu'ils soient d'accord pour appliquer ton plan. Cela éviterai qu'ils en inventent un autre tout aussi stupide que le précédent et cela sauverait de nombreuses vies dans les deux camps.

Sans rien dire, Fos finit la bouteille, la tendit devant lui et la lâcha. Il observa la gravité faire son travail et attendit de la voir et de l'entendre s'écraser dix étages plus bas.

— Je n'ai pas envie de leur parler maintenant. Pour l'instant, il me faut une autre bouteille, décida-t-il en se relevant.

— Et tu comptes en descendre combien comme ça ?

— Autant qu'il y a de membre du conseil, répondit-il en se remettant à fouiller dans les placards. Je veux imaginer que chaque bouteille qui se fracassera au sol est l'un d'eux.

Le violon de cristal: les partitions perduesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant